Walk Of Shame | Mat

« On en a pas fini tous les deux ! » Ariadne est maintenant hors d’état de nuire. Mateus l’entend s’étouffer de rage derrière la porte dont il maintient fermement la poignée au cas où elle ait la mauvaise idée de vouloir en forcer l’ouverture. Plus cette furie se tient loin, mieux il se porte. Le manque de légende sur la photo alarmiste qu’elle lui a communiqué plus tôt lui reste en travers de la gorge, il ne peut que vaguement imaginer ce qu’il s’est passé dans la chambre dans son dos et il est obligé de reconstituer le puzzle avec les maigres moyens du bord. Il pensait Loveless en sécurité ici, et pourtant… Ariadne avait raison, que ce serait il passé si elle n’était pas arrivée avant lui ? Au vu de l’état dans lequel se trouvait Aileen, il doutait qu’elle soit en mesure de correctement se défendre. Se rappelait-elle seulement ou se trouvait son arme ?

Les pas derrière le battant s’éloignent et bientôt, autour de lui, le silence retombe. L’ancien soldat plaque son bras contre la porte et son front contre son coude, le temps de reprendre sa respiration – il a soudainement la sensation d’avoir été en apnée au cours des 5 dernières minutes – et de démêler les émotions qui le traversent. Le manque de sommeil l’assaille de plus belle et ses oreilles bourdonnent, la culpabilité l’écrase, ce n’est pas habituel. Il aura beau le mettre sur le compte de son perfectionnisme, de la honte d’avoir failli à sa tâche, il ne peut se voiler la face très longtemps. Il s’est fait du souci pour elle, pire, imaginer que par sa faute il ait pu lui arriver malheur le tétanise. Pourtant, il balaie rapidement cette idée. Aileen va bien. Enfin, en était-il sûr ?

Comme un écho à son interrogation, il l’entend hurler. Il ferme alors les yeux, coince l’arrête de son nez entre son pouce et son index alors que, bien brutalement, il se rappelle combien initialement il était en colère contre elle. Les souvenirs de la veille lui reviennent en mémoire alors qu’il se retourne et se confronte à une Aileen horrifiée et déboussolée. La vision de la diva ébouriffée arrive même à lui arracher un sourire. Il s’attarde quelques secondes sur elle avant de baisser les yeux vers l’horreur qu’elle désigne. Le cadavre ensanglanté du condor gît là, sur le sol d’une chambre sans dessus dessous. « Une attaque de monstre qui a démarré sur la côte. Celui-ci est passé par la fenêtre. » Il se garde bien de donner plus de détails pour le moment… Mateus traverse la chambre pour ouvrir le balcon avant de faire rouler le cadavre de la bestiole hors de la pièce en lui assénant deux coups de pieds. L’immondice laisse derrière elle une traînée rougeâtre sur la moquette... Par mesure de précaution, il observe l’extérieur. Anormalement calmes, les rues de Costa Del Sol sont désertes. Pas de traces de monstre sur la plage, ils s’en sont donc débarrasser pour le moment. Quelque chose dans leur attitude continue cependant de le tourmenter, rien de tout ça n’était normal.

Mateus fait coulisser le battant du balcon avant de se tourner vers Aileen. « Pas trop dur le réveil ? » Demande t’il en se rapprochant pour l’observer, s’assurer qu’elle ne présente aucune blessure. Mais il doit se mettre à l’évidence, pendant qu’Ariadne se débarrassait du volatile, celle-là était resté bien emmitouflé dans la couette sans la moindre idée de ce qu’il se jouait à côté d’elle…

Alors qu’il s’enquit de son état, Loveless réapparue à moitié nue dans l’entrebâillement de la salle de bain. C’était une vision devenue familière, la belle se dévêtait sur scène et ne présentait pas plus de marques de pudeur dans les loges. Mateus avait dû s’habituer à ce manque de réserve et composait, jour après jour, avec son impertinence. Aileen était par ailleurs aussi effrontée que bonne menteuse, elle le lui prouvait encore une fois en prétendant avec toute la fierté du monde qu’elle se portait comme un charme. Si rien de son attitude n’indiqua qu’elle se sentit mal, ce qu’il s’était passé plus tôt dans cette chambre jouait en sa défaveur. Cependant il admirait son aplomb et la force qu’elle déployait à le convaincre que tout allait bien. Amusé, il se demandait si elle craquerait ou si, par miracle, elle parviendrait à jouer divinement la comédie jusqu’à ce qu’elle se retrouve seule. Il n’aurait alors plus qu’à saluer l’artiste et s’inquiéter toujours un peu plus de travailler pour cette femme.

Elle s’approchait dangereusement et ils ne se retrouvèrent bientôt plus qu’à quelques centimètres l’un de l’autre alors qu’elle amorçait un mouvement vers lui. Il la laissa faire, mais sa peau contre la sienne lui provoqua une réaction épidermique, un frisson froid qui remonta le long de son bras. S’il avait su s’accommoder de l’outrecuidance de la demoiselle, il ne se faisait pas à ses élans tactiles. Mateus ne pouvait nier qu’ils étaient agréables, mais la proximité d’un corps contre le sien réveillait indubitablement ses vieux démons. Dès que son imagination prolifique lui jouait des tours, quelque chose, quelque part, son passager noir comme il lui arrivait de l’appeler, relevait l’absurdité de ces images. Il la laissa le faire reculer vers le lit, s’assit lourdement, comme absent, avant de se rappeler qu’elle lui avait posé une question. « Comme si tu me laissais le choix. » Manière détournée de répondre par l’affirmatif et de la tenir responsable de son inquiétude. Car il le pensait vraiment, elle ne lui laissait pas le choix, jamais. Elle jouait constamment avec ses émotions en suivait le fil des siennes. C’était épuisant. Elle l’épuisait.

« Rien de bon si tu veux mon avis. » Depuis quand un patelin s’était il retrouvé assaillit par les monstres ? Les coins habités les faisaient habituellement fuir. « J’ai tenté de soudoyer un batelier pour nous faire sortir de ce trou, mais cet abruti… » Pourquoi évoquait-il seulement cet échec à voix haute ? Il secoua la tête avant d’observer la diva qui coiffait tranquillement ses longs cheveux blonds du coin de l’œil. « Je pense qu’on ferait mieux de rentrer. Ecourte ton séjour, ce ne sera qu’une question d’heure, mais ce sera toujours ça de gagné. » Pourquoi doutait il qu’elle fasse cas de son opinion ? Pour sur elle allait le contredire ou prétexter qu’il était urgent qu’ils restent à Costa Del Sol jusqu’à demain, comme prévu. A vrai dire, il comprendrait à moitié qu’elle ne prenne pas en compte sa requête. Lui-même ne justifiait pas tout à fait la drôle d’impression que lui avait laissé son combat. Pourquoi s’inquiétait-il ? Certes anormal, la situation avait été rapidement contrôlée et peut être, sans doute même, s’agissait-il d’un cas isolé. « Au fait, plus jamais ça, compris ? » Glissa t'il en faisant référence à la veille, bien qu'encore une fois, il doute qu'elle l'écoute...

Il s'habituait de plus en plus au fil des mois à la vision de ma peau nue. Je ne savais pas si cela devait me réjouir ou au contraire me dépiter. Je me souvenais très bien de la première fois qu'il avait pénétré dans ma loge lorsque j'étais aussi peu couverte. Ses yeux semblaient ne pas savoir où se poser. Les gardes du corps avaient souvent ce soucis. Ils ne savaient pas où regarder. La nudité était à la fois la plus forte et la plus faible armure d'une femme. Tout dépendait comment elle abattait ses cartes. Elevée au Wall Market, j'avais très vite compris qu'une femme qui savait jouer de ses atouts sans les laisser éclipser son intelligence pouvait aller loin. Quoi de plus facile à manipuler qu'un homme se laissant aller à ses plus bas instincts ? Don Cornéo en avait été un parfait exemple. Quelques courbes plus ou moins féminines avaient failli tout réduire à néant. Et tout ça pour quoi ? Quelques heures de plaisir fugace ? Ce monde n'était pas fait pour être dirigé par des êtres si faibles.

Et pourtant, lui ne le semblait pas. Faible, j'entends. J'avais beau déployer des trésors de séduction, il ne semblait pas prêt à céder. Cela ne faisait que renforcer ma curiosité. Du coin de l'oeil et tout en approchant, j'observai sa ridicule chemise hawaïenne tout en imaginant ce qu'elle pouvait bien dissimuler. A défaut de me laisser aller à ces rêveries aussi déplacées que malvenues, mieux valait le taquiner à nouveau. Au fond, ça me plaisait assez de savoir qu'il s'était inquiété pour moi. Ce petit jeu de pouvoir était une chose mais... je l'aimais bien au fond Mateus. Sentiment dangereux que je n'avouerais pas même sous la torture. « On a toujours le choix. » Ajoutais-je, taquine. Rien ne l'obligeait à conserver ce travail. Pourtant il était là, à mes côtés, supportant mes excentricités. Pourquoi ? Les autres avaient rapidement abandonné. Lui restait. Envers et contre tout. Quel pouvait bien être son point de rupture ?

Je l'interrogeais ensuite sur l'attaque de monstres qui s'était, semble-t-il, passée pendant mon sommeil éthylique. Pas vraiment rassurant sachant que je m'étais retrouvée seule ici sans me rendre compte de rien. L'air sombre de Mateus à cette évocation ne me disais rien qui vaille. Il évoqua ensuite  un batelier sans aller jusqu'au bout de son histoire mais à voir sa tête, ça ne s'était pas passé comme il l'avait cherché. Un petit rire s'échappa de mes lèvres « qu'est-ce qu'il a bien pu faire ce fameux batelier ? ». J'étais sûre qu'ily avait quelque chose de croustillant là dessous mais sans doute Mat ne voudrait-il pas partager cette anecdote. Et voilà qu'il évoquait quelque chose que je ne pouvais accepter. Pas que je n'en ai pas envie, étonnamment, j'étais plutôt de son avis, mais c'était impossible. Je soupirais, posant ma brosse à cheveux au bord du lit pour mieux me concentrer sur mon garde du corps, plongeant mes yeux dans ses prunelles pour lui faire comprendre la gravité de la situation.

« J'ai un engagement ici. Je ne peux pas partir sans froisser quelqu'un d'important et, dans ce cas, ce n'est pas moi qui en souffrirait le plus. »

Car l'affaire qui me menait ici n'était pas de celle qu'imaginait Mateus mais bien liée aux Cornéo. Je ne pouvait en dire plus. J'avais déjà été bien plus honnête que d'ordinaire. Peut être parce que l'alcool était toujours présent et que ma tête me tournait. Peut être simplement parce qu'au lieu de s'énerver comme je m'y étais attendue, il manifestait son inquiétude. A part Ariadne, qui était la dernière personne à s'être inquiété, véritablement inquiété, pour moi ? Mue par une impulsion subite, je posais un doigt sur ses lèvres pour le faire taire avant de le fixer les yeux plissés comme pour percer son âme à jour. Pour ça, je m'étais hissé sur mes genoux du bords du lit. En équilibre. Sauf qu'en ce beau matin, l'équilibre n'était pas ma principale qualité. La tentative de prise de pouvoir se transforma en dégringolade tandis que ma main retombait de surprise et que mon front entra subitement en contact avec son torse, l’entraînant dans ma chute tout juste amortie par le matelas. Toute position de force envolée, je grommelais « Ouais... plus jamais ça. ». Je faisais plus référence à mon état qu'à mon petit jeu bien sûr mais au fond, les deux n'étaient-ils pas liés ? J'étais pourtant étonnamment bien ainsi affalée contre lui. Mettant cela sur la cause du vertige qui ne me quittait pas, je ne fis absolument aucun effort pour libérer mon nouvel oreiller.

Elle avait raison. Qu’est-ce qui le retenait de présenter sa démission ? Le clan Corneo n’exerçait aucune pression sur lui et le Don lui trouverait un remplaçant en un claquement de doigt s’il venait à abandonner son poste. Mateus ne serait ni le premier, ni le dernier puisqu’il présumait que plus d’un avant lui s’était cassé les dents en voulant protéger la starlette insatiable. La question valait donc le coup d’être posé puisqu’il passait la plupart de son temps à prétendre regretter d’avoir accepté cette mission. Alors, pourquoi continuer à s’infliger pareils traitements ? Il pouvait toujours prétexter qu’en tant qu’ancien soldat il n’avait qu’une parole et suivait un code d’honneur, mais ce serait se mentir à lui-même. Il n’avait jamais été de ces militaires exemplaires qui respectait les ordres sans broncher, c’est sûrement ce qui lui avait valu de stagner dans sa carrière et de ne jamais obtenir de promotion. Il n’était pas assez bon élément pour qu’on ferme les yeux sur ses défauts intrinsèques, trop libre, impulsif et orgueilleux, pas assez d’écoute et encore moins l’esprit d’équipe. Quoi que l’armée lui ait permis de travailler sur chacun de ses points, il restait au fond ce sale gosse qui n’écoutait que son instinct et doutait constamment de celui des autres. Bref, il semblerait qu’il ait fait le choix conscient de poursuivre l’aventure Loveless et il avait une réponse toute faite qu’il se refusait à admettre à voix haute pour le justifier : il aimait tout simplement ça. N’avait-il après tout pas depuis toujours un souci avec ce genre de fille à problème ? Oh mais celle-ci se plaçait à un autre niveau…

En guise de réponse et parce qu’il n’avait rien à rétorquer, il se contenta de hausser les épaules sans pour autant s’avouer vaincu. Lorsqu’elle insista pour qu’il lui raconta son affaire avec le batelier, il grogna en secouant la tête. « Rien d’intéressant, puisqu’on est toujours là. Un abruti de plus à Costal Del Sol, rien de nouveau sous le soleil. » Le simple souvenir de son altercation avec ce sale type avait réveillé sa mauvaise humeur. Quoi que le souvenir cruellement comique du batelier s’éloignant au loin alors qu’il combattait les monstres puisse animer quelques conversations et amuser la galerie, il était trop orgueilleux pour plaisanter à ce propos actuellement.

Cette tête de mule ne voulait en tout cas pas entendre raison. Comme il l’attendait, elle refusa tout bonnement de quitter la ville sous prétexte qu’elle avait des engagements qui la retenaient ici. « Qu’est ce que tu racontes ? » Qu’est ce qu’elle lui chantait ? Quelle sorte de rendez-vous pouvait elle bien avoir qui justifia un pareil discours ? Il savait dors et déjà qu’il était inutile d’insister, Aileen avait fait son choix et lui faire entendre raison était presque mission impossible. « Si ce quelqu’un d’important est plus raisonnable que toi, il sera peut-être le premier à annuler votre rendez-vous. » Sûrement était il un peu alarmiste, après tout rien n’indiquait pour le moment qu’il ne s’agisse pas d’un cas isolé, d’une anomalie qui ne se représenterait pas. Pourquoi se montrait il aussi inquiet ? Le manque de sommeil lui jouait sans doute des tours, il manquait cruellement de discernement, ces dernières nuits avaient été cruellement courtes.

La starlette ne sembla pas apprécier qu’il la prie de ne plus jamais lui jouer de tour comme elle l’avait fait la veille. Elle se redressa sur ses genoux, voulue coller un doigt sur sa bouche pour sceller sa parole mais perdit l’équilibre, le renversa sur le lit et tomba contre lui. L’espace d’une seconde, Mateus ne discerna plus rien ci ce n’est un rideau de cheveux blonds. De là émergea bientôt un visage, dangereusement proche du sien. Il n’avait jamais pu l’observer d’aussi près. « Aileen, je suis sérieux. » Marmonna t’il alors que, presque instinctivement, il posait ses mains sur ses hanches. Il voulait profiter de cette proximité pour lui faire promettre de ne pas reproduire ce genre de mise en scène. « Plus jamais. » Insista t’il sans trop y croire, car son esprit s’était éloigné un peu plus loin et ses envies qu’il réfrénait voulaient reprendre le dessus. Il ne du sa bonne conduite qu’à une vision cauchemardesque. La poitrine de Loveless était ensanglantée. « Merde, qu’est ce que… » Mais alors qu’il se redressait en maintenant sa prise, il comprit bien rapidement qu’il s’agissait de son propre sang, du moins, de celui des monstres qui n’avait pas encore séché, sur sa chemise. Loveless restait assise sur ses genoux, ses deux jambes repliées, elle l’enserrait alors qu’il l’avait gardé contre lui. Cette position plus qu’équivoque mêlé à ce drôle de tableau macabre finit par lui faire perdre partiellement ses moyens. Il mit toute sa force pour la déplacer, la faire asseoir sur le lit un peu brusquement alors qu’il se redressait, troublé mais encore maître de ses esprits. « On ferait mieux de prendre une douche. Séparément. » Précisa t’il alors qu’il retirait le premier bouton de sa chemise. Il était habitué à ses sous entendus sexuels, il les anticipait. Du regard, il lui indiqua la salle de bain, comme s'il attendait qu'elle s'y enferme avant de rejoindre sa propre chambre, jumelle à celle d’Aileen. Simple mesure de précaution.

Il n'avait rien répondu. Ainsi était-il conscient qu'il avait fait le choix de rester à mes côtés. Malgré mes excès, malgré mes excentricités. Ils étaient peu à avoir fait ce choix. Dans ma vie, les gens étaient partis bien plus souvent qu'ils étaient restés. C'était peut être pour ça que je les mettais constamment à l'épreuve. Peut être. Mais je devais bien avouer que j'aimais ça. Jouer, pousser les autres au delà de leurs limites. Mais je n'arrivais pas à trouver les siennes. J'étais pourtant douée à ce petit jeu d'habitude. C'est ce qui me rendait douée dans mon travail – pas mon rôle de starlette, mon autre travail -, je trouvais les limites, le point de pression de mes interlocuteurs de façon à ce qu'ils fassent exactement ce que je voulais. C'était facile une fois que vous aviez cerné ce que voulait votre interlocuteur, ce qu'il craignait et surtout ce qu'il attendait de vous. A partir de là, les négociations pouvaient commencer. Avec Mateus, il était difficile de savoir ce qu'il voulait. Parfois j'avais l'impression qu'il me voulait et d'autres fois je le sentais sur le point de m'étrangler. C'était amusant.

Amusant comme sa façon de ne pas vouloir répondre à mes questions lorsque ça touchait son petit égo. J'étais persuadée qu'il s'était passé quelque chose avec ce batelier. Je le découvrirais un jour, qu'il ne se fasse aucune illusion. Il ne pouvait rien me cacher. Peu importe ce qu'avais fait cet inconnu, Mateus en était encore furieux. Ses adorables petits grognements me donnaient envie de rire mais je décidais d'éviter histoire de le ménager. Avec son orgueil légendaire, il risquait de mal le prendre. Déjà qu'il n'avait pas l'air d'apprécier que je veuille rester. Il avait cette habitude franchement agaçante de remettre en cause tout ce que je disais comme si ses arguments avaient le moindre poids une fois que j'avais pris une décision. Ne le savait-il pas ? Je ne faisais que ce que je voulais bien faire.

« Le connaissant, je doute qu'il considère que quelques monstres soit une raison suffisante pour décaler. »

J'étais la plus raisonnable des deux pour tout dire. Aussi inquiétant que cela puisse paraître. Mais il n'était pas question qu'il le sache. Il risquerait de vouloir m'en empêcher ou pire, vouloir m'accompagner.

Et puis la chute. La collusion de deux corps. Dommage que j'étais trop surprise pour véritablement profiter de cet instant. Je n'avais même pas entendu ce qu'il me racontait tandis que je sentais son cœur battre contre le mien et de drôles de picotements parcourir mon épiderme. Tiens donc. Un choc électrique me parcouru alors qu'il posait ses mains sur mes hanches. Je ne pu réprimer un petit sursaut presque imperceptible. Il répéta mes mots. C'était bizarre. Des plus jamais qui avaient un arrière goût de pour toujours. A le sentir ainsi pressé contre moi, mes pensées quittaient peu à peu les rivages du tout public pour faire place à des rêveries plus confidentielles. Et voilà, que ses yeux s'écarquillaient d'effroi tandis que les miens se faisaient confus. Qu'est-ce qui lui arrivait encore ? Baissant les yeux vers le décolleté pigeonnant qu'offrait à sa vu mes sous-vêtements, mes sourcils se froncèrent en apercevant tout ce sang. Il nous avait redressé et j'étais à présent sur lui, l'enserrant de mes jambes. Quel drôle de tableau nous devions offrir. Mais là n'était pas ma principale préoccupation. Mes mains explorèrent rapidement son torse, par dessus sa chemise. Cherchant une plaie ou quelque chose justifiant ce sang. Mais non, il ne semblait pas être à lui. Il avait profité de ce moment pour – assez brusquement – se débarrasser de moi. Méchant homme. C'était mesquin de laisser ainsi une femme sur sa faim.

Alors que j'allais lui proposer de m'accompagner sous la douche, il avait pris les devants, me coupant l'herbe sous le pied. M'approchant de lui avec l'air d'un chat prêt à en découdre avec une souris, je caressais du bout de l'index le carré de chair qu'il venait d'exposer en retirant son premier bouton.

« Séparément, très bien. Mais tu sais, c'est mal de laisser quelqu'un sur sa faim. »

Sur ces paroles, je lui tournais le dos avant de faire les quelques pas qui me séparaient de la salle de bain, semant mes sous-vêtements au passage. Je ne pris même pas la peine de fermer la porte. Qu'il observe donc ce qu'il ratait avant qu'il prenne sa douche en solitaire. Séparément, non mais franchement...

Mateus n’était pas naïf au point d’ignorer qu’Aileen soit plus qu’une starlette. Lorsqu’on avait le Don pour oncle, il fallait bien qu’on trempe d’une façon ou d’une autre dans des affaires plus ou moins légales. La question était, jusqu’où ? On ne l’avait jamais briffé sur cette partie-là du job. Il avait été convenu qu’il n’était que le simple garde du corps de Loveless, danseuse burlesque adulée, le reste ne le regardait pas et, s’il était assez malin, il n’irait pas chercher plus loin. Il avait très bien compris les termes du contrat lorsqu’on l’avait engagé, son rôle était bien plus important que ce qui avait été couché sur le papier. Mateus suspectait que ses nombreux voyages à l’étranger lui permettent de communiquer des informations aux partenaires du Don, ou même de leur délivrer quelques colis dont il fallait mieux taire la nature. Ils n’avaient jamais évoqué cela ensemble, l’ancien soldat s’en tenait professionnellement à leurs accords silencieux. Mais lorsque la belle se faisait la malle, qu’elle jouait volontairement avec sa vie et que, par jeu, elle semblait lui lancer un insolent « sauve-moi si tu peux », il avait tout à perdre.

Mateus ne serait donc pas convié à son mystérieux entretien demain. La famille Corneo continuait de l’évincer de l’équation, le priait de rester à la porte et de se tenir loin des confidences, peut être devait-il faire ses preuves avant d’être officiellement invité à la fête.

Finalement, accepter ce genre de proposition de travail démontrait qu’il ne faisait plus vraiment cas de ce qui pourrait advenir de sa vieille carcasse. C’était l’état d’esprit dans lequel le Don l’avait trouvé. Usé avant l’heure, désillusionné, encore trop orgueilleux pour s’avouer vaincu mais abîmé. Le genre idéal pour ce type de mission, Corneo avait du flair, on ne pouvait lui retirer cela. Quelque chose d’étrange pourtant avait émergé de cette histoire et grandissait doucement, au point qu’il ne l’avait pas tout de suite remarqué. Côtoyer Aileen jour après jour, le faisait lentement sortir de cet état léthargique, lui redonnait lentement l’envie de se battre, réveillait ses ambitions et ses envies les plus primaires, celles qu’il avait tu depuis l’attentat qui lui avait valu plus que sa carrière, son avenir.

Pourquoi les refréna t’il encore alors qu’il la tenait si près contre lui ? Il n’avait pas d’explication, presque machinalement il l’avait repoussé et avait même insisté pour qu’ils fassent douche à part. Il la voyait maintenant s’éloigner, l’observait semer ses sous-vêtements sur le sol, comme une route, une invitation à la rejoindre. Bientôt son corps nu disparu partiellement derrière la vitre teintée de la douche. Il devinait sa silhouette et ses courbes, faisait cas de cet appel à la luxure. Si elle n’en était pas à sa première tentative, Mateus n’avait jamais été aussi près de céder. Bien difficilement il se déroba à ce spectacle, bien qu’elle du noter que son hésitation avait été plus longue, plus douloureuse. Alors qu’il regagnait sa chambre, il lui parut soudainement idiot de l’ignorer plus longtemps, de ne pas donner suite à cette envie et de continuer de la ferrer avec autant d’obstination. C’était la première fois qu’il regrettait d’avoir laissé passer ce genre d’opportunité et bien qu’il cherche à le justifier de milles manières, les motifs invoqués n’étaient plus suffisants. Il espérait que prendre une douche lui remette les idées en place, qu’il retrouve un minimum d’emprise sur ses sens et qu’il ne laisse plus ses bas instincts prendre le dessus sur sa raison. Mais toujours cette question : Pourquoi résister plus longtemps ? Alors que l’eau coulait sur son corps devenu sensible à la moindre caresse, il contempla les mille cicatrices qui le dévoraient. Ce n’étaient pas elle qui l’empêchait d’avancer, mais leurs histoires. Il avait prétendu être dégoûté à l’idée qu’une femme les découvre et les effleure, mais rien n’était moins douloureux que l’idée de Loveless les embrassant. Le problème allait au-delà maintenant, il avait fait tomber la première barrière et ci cela continuait, Aileen allait à elle seule les détruire toutes. Est-ce cela qui l’inquiétait ? La perspective de ressentir à nouveau quelque chose ? Absent, il se rhabilla, passa machinalement une main dans ses cheveux mouillé et revint dans la chambre d’Aileen. « Est-ce que tu ne voudrais pas que j’aille voir de plus près ce qu’il se passe dehors ? » Suggéra t’il alors qu’elle se trouvait toujours dans sa salle de bain. Peut être prendre l’air l’aiderait à y voir plus clair… Bien que l’idée de la laisser à nouveau seule ne l’enchantait guère. « Seulement si j’ai la certitude que tu ne quitteras pas ta chambre. » Compléta t’il sans savoir s’il pouvait bien l’obtenir… Alors, que faire ?

L'eau ruisselait sur mon corps et des gouttelettes rouges délavés tombait sur le nacre de la douche tandis que disparaissait le sang qui maculait ma poitrine. Je n'étais pas de ces gens qui s'évanouissait à la vue du sang. Caché ou à la vue de tous, il avait toujours plus ou moins fait partie de ma vie. Ne disait-on pas que les mains des Corneo en étaient recouvertes ? C'était vrai au fond. Même si je ne pressais pas moi même la détente, on ne maintenait pas l'ordre dans ce genre d'organisation sans quelques dommages collatéraux. C'était comme ça. Quand on trempait dans certains milieux il fallait être prêt à payer le prix du sang. La chair, le sang et la poudre. Telles étaient les composantes principales de ma vie. J'avais l'adrénaline chevillée au corps et, comme tous les Cornéo, je n'aimais pas qu'on me dise non. Encore moins quand il s'agissait de quelqu'un que je voulais.

C'était vexant à force, cette énergie qu'il m'était à repousser mes avances. Ariadne dirait sûrement qu'il n'en valait pas la peine. Pourtant, cette fois, je n'avais jamais été si prêt du but. Je le sentais. Il ne manquait plus grand chose pour parvenir à faire sauter ses résistances. Il finirait par s'abandonner. Ne le faisaient-ils pas tous ? Et que ce passerait-il ensuite ? Est-ce que j'allais me lasser ? Ou, hypothèse plus terrifiante, aurais-je envie de recommencer ? Il n'y avait qu'un moyen de le savoir mais cette tête de mule refusait d'accepter l'évidence. Cette affaire se réglerait dans un lit, c'était inévitable.

J'avais entendu les pas résonner tandis qu'il s'éloignait et lâché un profond soupir. Imbécile. Tant pis pour lui. Il était maintenant temps de passer à un rituel d'un tout autre genre. Me laver me prenait toujours un temps certain. Je n'étais pas une ancienne militaire qui se lavait en trois minute. Il me fallait du temps. Laver mes cheveux. Une première fois. Puis une deuxième. Appliquer un après shampoing. Puis un soin. Laver mon corps. Couper la douche. Appliquer de la lotion. Et j'avais décidé de sauter la case des soins du visage aujourd'hui.

Il était arrivé quelque part entre le gel douche et la lotion.

« Ça pourrait être une bonne idée. L'information c'est le pouvoir. »

Ma petite routine effectuée, je passais une serviette dans mes cheveux avant de m'enrouler dans une autre. C'est ainsi vêtue – ou dévêtue si vous étiez puritain – que je me retrouvais face à lui tandis qu'il m'intimait de ne pas quitter la chambre. Comme si j'avais envie d'aller à l'extérieur faire face à la lumière du jour et à ma gueule de bois de l'enfer. Ce n'était pas parce que je faisais bonne figure devant lui que j'en étais capable en dehors de cette chambre. Il aurait été si simple de simplement lui promettre de rester sagement à l'hôtel. Mais, il m'avait laisser en plan et ça, je ne l'oublierai pas facilement.

« Et bien, malheureusement, ce n'est pas comme si j'avais mieux à faire que rester là. Seule. »

S'il ne comprenait pas le sous-entendu, c'est qu'il était définitivement une cause perdue. Levant la main droite et manquant par la même de laisser choir ma serviette qui bailla dangereusement, je lui fis la promesse qu'il attendait tant.

« Je te promets d'être une bonne fille et d'attendre patiemment que tu reviennes. Mais ne soit pas trop long, sinon, je ne réponds plus de rien. »

Oh ! Voilà qui ferait une bonne chanson. Il fallait que je note ça quelque part ! Furetant à la recherche d'un bloc et d'un crayon – que je finis par les trouver au coin du lit. M'installant sur le matelas, je commençais à griffonner avant de relever la tête vers Mateus.

« Tu ne devais pas y aller ? »

Comme il était difficile de suivre les hommes.

Il faisait les cent pas dans sa chambre, les mains enfoncés dans les poches. Alors qu’elle approuva son idée, lui donnant ainsi le loisir d’en apprendre plus, il se colla devant la fenêtre pour étudier de loin la carcasse du monstre gisant sur le balcon. Par où commencer ? Cette anomalie avait dû faire du bruit, en ville il pourrait consulter quelques personnes qui, avec un peu de chance, auraient des informations à ce propos. Peut-être tenter de retrouver cette blonde qui avait combattu à ses côtés et qui s’était averé bien utile, puisqu’il était vain d’espérer tirer quoi que ce soit de Scarlet qui traînait elle aussi dieu sait pourquoi dans les parages. Alors qu’il préparait silencieusement ses premiers mouvements une fois sorti de cette chambre, Aileen réapparu, une serviette entortillée autour de son corps. L’idée de la libérer de ce modeste parement l’obnubila bien plus longtemps qu’il n’aurait voulu le reconnaître. Son esprit fut pris d’assaut par des images délicieusement déconcertantes alors que presque inconsciemment il s’approchait d’elle. Elle qui se plaignait du mauvais traitement qu’il lui infligeait en la laissant seule…

« Arrête ça… » S’entendit il grogner en réponse à sa plainte alors que, loin dans ses pensées, il débarrassait Aileen de sa serviette et la couchait bestialement sur le lit. Il avait très bien entendu son petit sous-entendu, c’était d’ailleurs la première fois qu’elle réagissait de façon aussi farouche. D’accoutumer elle s’amusait quand il la repoussait, aujourd’hui elle semblait presque froissée. Devinait-elle cependant qu’il était actuellement tout aussi frustré qu’elle et qu’il se demandait avec toujours plus d’entêtement pourquoi résister plus longtemps ?

« Une bonne fille… Bien. » Répéta t’il, alors que son esprit divaguait encore une fois vers des contrés licencieuses. « C’est tout ce que je voulais entendre. » Prétendit-il. Et après quoi ? S’il cédait à cette impulsion, que risquait il ? Pourquoi même se poser des questions sur la suite ? Ne pouvait-il pas se contenter de dévorer le présent sans faire de plan sur l’avenir ? Il ne dut son retour à la réalité qu’à la supplique d’Aileen qui semblait vouloir, avec un arrière-gout de vexation, qu’il prenne la porte. Il se contenta d’approuver ses dires par un signe de tête, jeta un dernier coup d’œil à la chambre sans dessus dessous de la starlette et s’avança vers la sortie. Alors qu’il refermait la porte, il continuait de se demander si cela fut bien raisonnable. Il voulait pourtant croire qu’Aileen ne bougerait pas. Elle n’était pas idiote au point de s’aventurer en ville alors qu’il l’avait prévenu que quelque chose se tramait, pas dans son état et pas avant d’en savoir plus. Il jeta un coup d’œil à son PHS pour consulter l’heure, vérifia ses gants et se mit en marche. Pourvu que tout ce cinéma ne l’empêche pas de mener à bien cette mission… Aileen continuait de s’imposer insolemment dans son esprit et les scénarios possibles qui auraient pu découler de leur entrevue le torturaient. C’est dans cet état d’esprit qu’il partit à l’assaut de Costa Del Sol.

Je n'avais pas envie d'arrêter. Etait-il donc obtus à ce point où était-ce encore une de ses tentatives stupides de me garder à distance ? En général, je prenais ça à la plaisanterie. Jouant avec lui comme un chat avec une souris. Mais pas aujourd'hui. C'était peut être l'ennui, c'était peut être les résidus d'alcool dans mon sang mais j'aurais tellement voulu qu'il m'arrache cette serviette et prenne les choses en main. Je l'aurais même peut être laissé mener la danse pour une fois. S'il pouvait deviner les scénarios qui défilaient dans ma tête en ce moment précis... Peut être aurait-il été effrayé. Mais non. Il se retenait et c'était énervant. Sérieusement, pourquoi faire ? Ce n'est pas comme si j'allais le virer après coup. Il faisait du bon boulot et il m'amusait. Conjuguer ces deux qualités était assez rare pour un garde du corps. N'en déplaise à Ariadne, j'étais bien déterminée à le faire céder. J'allais donc le laisser méditer sur son refus et l'absurdité de cette situation. Il reviendrait, j'en étais sûre.

Il allait donc pouvoir faire sa chasse aux renseignements – sans doute une ancienne déformation de quand il était seconde classe – et moi préparer mon prochain numéro. En bonne fille. L'absurdité de la situation m'avait néanmoins inspiré une chanson qui serait du plus bel effet. Que Mateus se rassure, je n'avais pas l'intention de quitter ma chambre. Contrairement à ce qu'il semblait croire, je n'étais pas totalement stupide. Mon arme était introuvable, des monstres rodaient potentiellement dehors et puis j'avais des cernes sous les  yeux. Hors de question de sortir dans cette état. Loveless ne se montrait que sous son meilleur jour. Certainement pas, donc, un lendemain de soirée avec un mal de crâne à vous vriller le cerveau. Heureusement, j'avais un remède anti gueule de bois caché quelque part dans mes bagages. Une fois Mateus parti, il ne me restait plus qu'à retrouver la potion miracle et à me mettre au travail. Les paroles reprises et raturées finirent par couvrir le papier blanc tandis que j'écoutais sur mon PHS les morceaux que mon ami compositeur m'avait adressé. L'un d'entre eux était tout simplement parfait pour cette chanson.

Restait ensuite à déterminer la mise en scène. Car si chanter et danser sur scène était déjà un processus en soi, le burlesque était avant tout une mise en scène. A chaque chanson était attribuée un tableau parfaitement millimétré. Les décors étaient somptueux, les costumes magistraux et la scénographie essentielle. Il fallait parvenir à doser la sensualité et la suggestion sans virer dans quelque chose de lourd et grossier. Pas de vulgarité donc. La frontière de l'un à l'autre était parfois ténue. Il fallait montrer au public juste ce qu'il fallait. Une courbure par ici, un geste équivoque par là. L'ombre d'un corps dénudé mais sans jamais le voir totalement.

Les feuilles se noircissaient, encore, encore et  encore, tandis que mes idées prenaient vie. Il me faudrait des miroirs. Beaucoup de miroir. Une ottomane et... une nouvelle tenue. Je savais exactement quelle tentures choisir. Il me faudrait aussi voir les filles  pour déterminer quelles Bees avaient gagné le privilège de m'accompagner sur scène. Céleste peut-être ? Il faudrait faire un point sur leurs performances de ces dernières semaines. Tant de travail en perspective.

Observant l'heure sur mon PHS, je m'apercevais que le temps avait passé. Ni Mateus ni Ariadne n'étaient revenus. Étrange. J'envoyais rapidement un SMS à Ariadne pour vérifier que tout allait bien pour elle. Mat était bien assez grand pour veiller tout seul sur sa petite personne. Regroupant le fruit de mon labeur de l'après-midi, je m’attelais à faire un brin de ménage dans la chambre. Toujours pas d'arme. Par Shiva, qu'avais-je bien pu en faire ? J'allais devoir m'en acheter une nouvelle...

Bien que totalement sèche, j'étais toujours dans ma serviette de tout à l'heure. Il était temps de changer cela. J'attrapais donc une nuisette que je fis passer par dessus ma tête pour l'enfiler. Ma serviette tomba au sol et d'un petit coup de pied, je l'envoyais valser jusqu'à la salle de bain. Me laissant choir sur le lit, j'observais quelques instants le plafond avant de fermer les yeux.

Le chemin du retour fût long et pénible. Mateus n’avait pas attendu le reste du groupe pour rentrer à Costa Del Sol, il précédait de quelques mètres Elise Scarlet qui, elle non plus, ne s’était pas plus longtemps soucié du sort de ses compagnons d’infortune. Le danger après tout semblait avoir été partiellement écarté, ils avaient exploré tous les recoins de cette maudite grotte et en ressortait avec bien plus de questions que de réponses. Que rapporter à Aileen, ci ce n’est qu’il fut officiel que quelque chose se tramait dans le coin. Déformation professionnelle, ou vestiges de quelques ambitions qui le poussait à vouloir en apprendre plus, il avait gardé avec lui un de ces drôles de colliers trouvé dans la grotte. Il le consulta vaguement, comme si l’étudier à la lumière du jour changerait la donne, mais cela ne le renseigna pas plus sur leur utilité. Il était de toute façon idiot de vouloir l’exhiber, des hommes de la SHINRA rodaient visiblement dans les parages, il ne connaissait leur degré d’implication dans cette affaire et il était préférable de repousser à plus tard ses recherches.

Il ne tarda pas à croiser la route de quelques miliciens qu’il salua impudemment. Ils semblaient hésiter sur la démarche à suivre et se consultaient du regard pour savoir lequel d’entre eux jugeraient nécessaire d’accoster un type aussi louche. Puisqu’aucun ne bougea, Mateus déduit que la petite troupe de soldats avait mieux à faire. Leurs uniformes lui flanquèrent le bourdon, comme si quelqu’un, quelque part, semblait s’amuser de lui montrer ce qu’il aurait pu devenir. Il n’avait aucune envie de séjourner plus longtemps dans le coin ni de courir le risque que quelqu’un le reconnaisse. Bien qu’il fût peu probable qu’une vielle connaissance se cache derrière l’un de ces masques, il n’avait actuellement pas la patience de supporter un nouveau rebondissement au cours de cette journée. Il se présenta à l’accueil de l’hôtel, ruisselant et ensanglanté, remercia silencieusement le groom de s’être contenté de le regarder avec de grands yeux lorsqu’il lui avait demandé un nouveau badge et s’engouffra dans l’ascenseur.

Dans l’élévateur, il soupira profondément en s’adossant au miroir dans son dos et ferma un instant les yeux. Ses épaules s’affaissèrent et tout son corps lui sembla soudainement lourd, marqué par les combats et le manque de sommeil. Il avait plus tôt écarté la proposition d’être soigné par Levia et Ariadne, pensant bien bêtement qu’il n’en avait pas besoin et commençait à regretter son choix. Un tintement significatif précéda l’ouverture des portes, il lui restait heureusement assez d’énergie pour se planter devant la chambre d’Aileen.

Il frappa une première fois, et resta sans réponse. À quoi jouait elle encore ? « Aileen ? » S’impatienta-t-il en donnant un nouveau petit coup dans la porte. « Ouvre cette porte. » Cracha-t-il moins énervé que pressé d’en finir. Que lui réservait elle encore ? Allait-elle à nouveau trouver un moyen de le punir de ne pas avoir répondu à ses attentes ? Qu’est-ce que cette petite tête blonde lui préparait cette fois…

Je m'étais endormie, bercée par un sommeil sans rêves. Le processus créatif m'avait achevé mais je savais que je tenais quelque chose. Quelque chose de grandiose. Une pièce maîtresse pour mes prochains show. Il faut croire que la frustration était bonne conseillère. Inspirante en tout cas. J'aimais les défis et je faisais face à un adversaire de poids. Ariadne avait raison. J'allais finir par gagner. Il ne pouvait en être autrement. C'était sur ces pensées que j'avais glissé dans les bras de morphée à défaut de pouvoir me réfugier contre de la chair moins immatérielle.

Après ce qui sembla tout juste quelques secondes des coups résonnèrent à la porte, me faisant gémir de mécontentement. Les coups reprirent de plus belle, accompagnés des plaintes de Mateus. Décidément, il avait décidé de ne pas se montrer agréable aujourd'hui. Je me relevais rapidement, baissant les yeux sur ma nuisette avant de hausser les épaules. Il m'avait déjà vue plus dénudée. Je me déplaçais donc vers la porte encore groggy de sommeil.

A peine ouverte, ma fatigue se dissipa brutalement en apercevant l'état de Mateus. Mais qu'est ce qui lui était arrivé. Il était plein de sang et d'eau. Sans autre forme de procès, je l'attirais à l'intérieur de ma chambre avant de l'inspecter sous toutes les coutures, arrachant quelques boutons dans la précipitation.

« Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? »

Hormis quelques bleus, coupures et contusions, il n'avait pas l'air en danger de mort. Epuisé par contre très certainement. Soupirant tant de soulagement de le savoir sauf et d'agacement je désignais le lit d'un geste de la main.

« Installe toi là, je vais m'occuper de toi. Pas de discussion. Et enlève tes vêtements avant de salir mes draps. »

Anticipant toute récrimination, je le fusillais du regard.

« Pas de fausse pudeur avec moi, tu tiens à peine debout. Un garde du corps évanoui dans sa douche ne me servirait à rien. »

Le laissant accepter de se dévêtir de son plein gré, je fouillais dans mes bagages afin de trouver un onguent anti douleur et tremper une serviette dans de l'eau chaude. Si j'avais su, j'aurais apporté une de mes tenues d'infirmière.

M'asseyant à mon tour sur le lit, je décidais de lui laisser le choix pour une fois. C'était un rameau d'olivier en quelque sorte. Car, s'il y avait bien une chose à laquelle je rechignais, c'était bien de laisser le contrôle à quelqu'un d'autre que moi. Il aimait autant le contrôle que moi. C'était une lutte de tous les instants.

« Alors, tu vas me laisser t'aider, oui ou non ? »

La balle était donc dans son camp cette fois. Je m'en voulais un peu de l'avoir envoyé là bas. Apparemment la mission que je lui avais confié c'était révélée bien plus dangereuse que prévue. Ce n'était pas le but et je me rendais à présent compte que j'avais failli l'envoyer à la mort par pur dépit.