I want to ride my bicycle - Mia

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« Si personne ne vient chercher ce putain de vélo dans les deux minutes, je vais lui faire bouffer. » De ton bureau, tu observes l'objet insolent, abandonné pour la cinquième fois de la semaine devant ton garage. Curieusement, tu n'as pas encore coincé le coupable, il s'arrange toujours pour récupérer son bien lorsque tu as le dos tourné. En attendant, il est là, juste là, traînant dans l'allée, provoquant.

Tes doigts se resserrent autour de ton gobelet en plastique à mesure que tes yeux se plissent, à la recherche d'un coupable potentiel qui, au coin de la rue, attendrait le bon moment pour agir. Au début, tu étais encore indulgente, un gamin distrait avait très bien pu abandonner son bien pour pouvoir jouer avec ses copains un peu plus loin. Passe encore. Mais les oublis se répétaient jour après jour pour se muer en vilaine habitude et tu mesurais trop tard combien il avait été idiot de ne pas agir immédiatement. « C'est bon. Ça suffit. Ça suffit. » Tu lèves tes sourcils et tes paumes vers le ciel après avoir réduit ton gobelet en une informe boule en plastique. Ta patience a des limites, il est même incroyable que l'inconscient propriétaire ait bénéficié d'autant de temps. Alors que tu quittes ton bureau, tu pointes un doigt vers le ciel comme pour faire taire l’invisible. Que Joe t’en soit témoin, tu as eu un comportement exemplaire jusqu’alors, tu refuses donc qu’il te fasse la morale. Il n’était pas rare que tu l’imagines te réprimander lorsque tu vas trop loin, alors ce doigt érigé vers le plafond, c’était un avertissement une manière de le congédier pour qu’il te fiche la paix. Pas cette fois Joe, pas cette fois.

Tu claques la porte et dévale les quelques marches qui te séparent du rideau de fer levé. Autour de toi, personne ne pose de questions. La patronne à encore ses humeurs, rien de nouveau sous le soleil. Tu jurais en voir quelques-uns s’en amuser, mais tu ne perds pas de temps, fonce droit vers le vélo, l’attrape et le lance avec force à quelques mètres de l’établissement. Le pauvre véhicule se fracasse contre le sol dans un concert de cliquetis métalliques triste. C’est un vrai soulagement qui te fait pousser un râle de contentement. Là-dessus, tu frottes tes mains l’une contre l’autre avant de poser tes poings sur les hanches en admirant ton œuvre. Tu ne remarques qu’à ce moment-là qu’une paire de jambes se rapproche du cadavre de fer et relève la tête vers le responsable en posant ta main en visière pour te protéger du soleil en contre-jour. Avant qu’elle n’ait pu dire quoi que ce soit, tu lances avec un brin d’impolitesse. « S’il est cassé, l’adresse pour le réparer est toute trouvée. » Ton pouce vient désigner ton garage derrière ton dos avant que tu ne détailles la silhouette qui te faisait dorénavant face. Définitivement pas la personne que tu avais imaginé étrangler quelques minutes plus tôt…

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Fin de journée pour Mia, elle enfourcha avec hâte son vélo, direction chez elle. A son arrivée à Edge, elle avait acheté un vélo d’occasion qu’elle utilisait pour effectuer ses déplacements entre chez elle et son boulot. Elle n’aurait jamais cru être capable un jour d’affronter une route et ses conducteurs, et encore moins en ville. Etourdie et angoissée comme elle était, elle n’avait aucune confiance en ses capacités à maîtriser un jour le code de la route. Les premiers trajets en vélo s’effectuèrent donc dans plus la grande des peurs, et c’est ce qui fit paradoxalement d’elle une très bonne conductrice… Quelques mois plus tard, la voilà arpentant toute fière les rues d’Edge sur le dos de son vélo, matin et soir.

En fin de compte, elle prit un peu trop la confiance. Sa crainte de la route surmontée, voyant qu’elle se débrouillait, elle se permettait d’être dans ses pensées tout en pédalant. Et c’est là qu’elle devenait un vrai danger public… Mais Mia s’était trop habituée à son nouveau moyen de locomotion pour y renoncer. Et avec le retour du beau temps, elle en abusait même.
En cet fin d’après-midi, ses pensées étaient prises par une remarque que lui avait fait une collègue. Celle-ci ne la trouvait pas assez rigoureuse et constatait qu’elle laissait passer plein d’erreurs dans les rendus qu’elle lui envoyait. Mia l’avait mal pris, car il lui semblait que sa collègue exagérait et qu’elle était trop psychorigide, mais comme d’habitude elle n’avait pas su réagir face à cette situation de conflit. Dès qu’on lui faisait remarquer ses erreurs, Mia avait la fâcheuse manie de se laisser faire tout en ne reconnaissant pas tout à fait sa faute. Une attitude très bancale, qui avait énervait encore plus les personnes face à elle.
Mia se repassait leur conversation légèrement houleuse en boucle dans sa tête. Si bien qu’elle conduisait n’importe comment et qu’une fois arrivée en bas de chez elle, elle laissa son vélo en plan devant l’immeuble.

Depuis quelques temps, et toujours la tête ailleurs, elle avait coutume de laisser son engin là, sans trop se poser de question, durant les quinze minutes qu’elle prenait pour repasser chez elle se changer et se refaire une fraîcheur, pour enchaîner sur ses activités personnelles. Ce soir-là, elle devait rejoindre des amis pour aller boire un verre.
La mine un peu plus pimpante, la voilà qui redescend mais quelle surprise lorsqu’elle sortit de l’immeuble et qu’elle vit une jeune femme s’emparer de son fidèle vélo pour le balancer quelques mètres plus loin. Muette devant ce spectacle, son cœur s’emballa. M’enfin, qui lui voulait autant de mal ? Son premier réflexe fut de foncer voir dans quel état était son vélo, comme on aurait accouru devant le corps d’un pauvre chat qui se serait fait faucher par une voiture. Elle redressa l’engin, incapable de dire s’il se portait bien… Envahie par cette sensation désagréable d’être un dérangement pour quelqu’un, elle ne savait plus où se mettre et craignait le moment où elle devrait affronter cette personne. Celle-ci lui balança une remarque qu’elle ne comprit pas tout de suite avant de découvrir la silhouette féminine qui était plantée là, quelques mètres plus loin.

Elle comprit tout en une fraction de seconde. Cette fille-là, elle l’avait déjà croisée plusieurs fois dans le quartier. Une fille comme elle n’aurait pas pu passer inaperçu aux yeux de Mia, par son allure impressionnante et son charme notable, elle avait su attirer sa curiosité. Les quelques fois où elles s’étaient croisées, Mia avait remarqué que la jeune femme était toujours près ou à l’intérieur du garage avoisinant son immeuble et en avait déduit qu’elle y travaillait. Le souci, c’est que c’était aussi devant ce garage que Mia avait pris l’habitude de poser son vélo quand elle ne faisait qu’un bref passage chez elle. Et depuis une semaine, ça n’avait pas arrêté… Mia se rendait maintenant compte de son erreur.

« Bah, désolée… » Lâcha-t-elle d’une voix piteuse, elle serra fort les poignées de son guidon comme pour décharger toute la tension qui la traversait actuellement. Cette fille lui paraissait soudainement moins charmante, mais toujours aussi intimidante. Et comme d’habitude, Mia cru bon de se justifier toute bredouillante : « M’enfin, c'était peut-être pas la peine de le balancer comme ça, j’allais revenir… J’aurais pas dû le laisser là, j’en conviens. C’est juste que je voulais mettre un autre t-shirt car je puais la transpi et puis le temps de le rentrer dans la cage à vélo de l’immeuble ça met des plombes alors j’ai préféré le laisser là, c’est complètement idiot mais je… » Elle laissa sa phrase en suspens, la pensée de sa conversation houleuse avec sa collègue lui revenant. A chaque fois qu’elle était en conflit avec quelqu’un, au lieu d’assumer entièrement sa faute, il fallait toujours qu’elle se cherche des excuses… Il fallait vraiment qu’elle arrête ça. « Rah pourquoi je suis complètement conne ?! » C’était sorti tout seul et malheureusement, ça, elle l’avait dit assez distinctement. Elle avait pris l’habitude de se parler de la sorte quand elle se retrouvait toute seule mais jamais cela ne lui avait échappé en public. Elle fut d’ailleurs la première surprise qu’une phrase pareille soit sortie de sa bouche à cet instant précis. Pathétique… Un peu affolée elle sauta sur la première occasion pour changer de sujet, alors d’un ton incrédule elle se vit demander : « Mais, tu répares vraiment les vélos ? »

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Elle s'était imaginé affronter un sale gosse, un je m'enfoutiste à qui elle aurait gaîment fait ravaler sa fierté, mais pas à une jolie ingénue au visage constellé de taches de rousseurs. Pour l'heure pourtant, elle ne se dépatte pas encore de sa colère, les poings sur les hanches, elle écoute la défense de l'accusée. Et qu'elle se trouve être longue, cette défense ! Elle essaye par deux fois à prendre la parole, pointe du doigt son enseigne pour l'avertir que ceci était un garage, pas un parking, mais la pipette se justifie, s'excuse, et va jusqu'à proférer des insultes à son encontre. Ici, Ariadne hausse des sourcils, ahuris par la vélocité des humeurs de son interlocutrice. Un rictus lui échappe, elle le dissimule derrière ses doigts alors que sa voisine est en proie au tourment. Et très vite, la mécanicienne sait qu’elle est fichue, car attendrie…

C’est qu’Ariadne a un point faible : l’innocence. Peut-être parce qu’on aura ravi la sienne trop tôt, mais l’heure n’était pas à la psychologie du dimanche. Elle pardonnait par exemple facilement aux enfants, elle les adorait, par ailleurs. Couplé à la sincérité, son cœur, compliqué à conquérir, pouvait fondre. Alors malgré elle, cette fille un peu perdue qui peine à mettre de l'ordre dans ses pensées la touche. L’agace, toujours, mais l’émeut un peu, ce qui, évidemment, ne lui facilite pas la tâche.

Elle n’a pas réussi à placer un seul mot que déjà la propriétaire du vélo relance la conversation, lui demande si elle sait vraiment les réparer ? Ariadne la détaille du regard, finit par bouger imperceptiblement sa tête de droite à gauche en fermant les yeux pour mettre au clair ses idées et lève les mains en l’air. « Ok, file-moi ça. » Ordonne t’elle comme un coup de tonnerre en se dirigeant elle-même vers le vélo qu’elle redresse brusquement. La chaîne est amochée, l’engin mériterait quelques ajustements. Elle se dirige d’un pas décidé vers son garage en faisant un signe de la main à sa voisine, comme si un rien pouvait lui faire changer d’avis et qu'il était préférable qu'elle la suive. Sous le regard mi amusé, mi étonné de ses employés, elle déploie un support de réparation et y dépose le véhicule sans douceur. « Ouai c’était idiot, franchement idiot, je confirme. Considère qu’en échange de ce que je fais là, je ne veux plus le voir trainer devant mon établissement, compris ? » Inutile de pousser plus loin la menace, son interlocutrice n’était pas ingénue au point d’ignorer que si elle retombait dessus, elle ne se contenterait pas de le jeter à quelques mètres de son garage. Alors qu’elle va chercher une boite à outils, lorsqu’elle se retourne vers son atelier de réparation improvisé, elle observe la petite propriétaire perdue au milieu de son univers. Quelque chose ne cadre pas, elle est trop propre et lumineuse dans ce décor gris et bruyant, debout là entre les voitures cabossées et les calendriers coquins. Cela l’aide presque à retrouver un semblant de bonne humeur. « On est voisine, alors ? » Lance t’elle en revenant près d’elle, moins sous forme d’interrogation que de constatation. « Depuis combien de temps ? » Poursuit-elle en sélectionnant des bons outils avant de s’accroupir près du vélo et de le désigner du menton. « Parce que celui-là, ça ne fait pas si longtemps qu’il est abandonné devant chez moi. » Ou l’acquisition est récente, ou l’inconnue a débarqué tout récemment dans le quartier.

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Elle s’empare du vélo. Pendant une fraction de seconde, Mia se demande si elle devrait la laisser s'emparer de son vélo comme ça. Après tout, à peine quelques minutes plus tôt, elle l'avait retrouvée en train de s'acharner sur ce pauvre engin… Mais malgré ce détail, Mia a envie de lui faire confiance alors elle la suit en direction du garage. Elle a l’impression qu’à tout moment la jeune femme peut changer d’avis et lui demander de ramener gentiment son engin chez elle. Mais elles entrent finalement dans le garage et la belle brune a l’air bien décidé à inspecter le véhicule.

Mia ne sait pas trop ce qu’elle fait là. Elle est embarrassée, elle s’en veut d’avoir déclenché la colère de sa voisine et a le sentiment d’avoir été particulièrement gênante quelques minutes plus tôt. Elle a vraiment un don pour passer pour une idiote. Elle croit que c’est d’ailleurs la seule faculté dans laquelle elle sait parfaitement s’illustrer. A chaque fois qu’elle est mal à l’aise, faut qu’elle s’emporte comme ça… Dans des flots de mots maladroits. Elle aimerait qu’on lui couse les lèvres et que plus jamais un mot ne sorte de sa bouche, puisqu’à chaque fois qu’elle s’écoute parler, elle a tellement envie de disparaître. Et puis quelle idée de laisser son vélo dans le passage comme ça ? Ne réfléchissait-elle donc jamais ?

Les reproches de la jeune femme la ramènent à la réalité. « Bien sûr, plus jamais ! C'est promis ! » Ah ça non, on ne l’y reprendra pas une autre fois à garer son vélo n’importe où. « Merci du coup de main, en tout cas. » Mia se met à inspecter les lieux avec intérêt, comme s’il lui permettrait d’en apprendre plus sur le brin de femme qui se tient devant elle. Elle ose à peine faire un pas, de peur de provoquer une nouvelle catastrophe. Elle n’avait jamais trop eu l’occasion d’entrer dans un garage jusqu’à aujourd’hui. C’est l’odeur de l’essence qui la surprend le plus, elle croyait avoir toujours détesté cette odeur mais à ce moment particulier, elle se surprend à constater qu’elle l’apprécie. Comme si ce lieu et la personne qui y vivait avaient su redonner son aura à l’odeur.

« J’ai emménagé il y a un peu plus de six mois… » Mia s’empare distraitement d’une clef à molette qui est posée sur l’établi auquel elle est accoudée. Un silence s’impose tandis qu’elle laisse glisser nerveusement son doigt sur la courbure de l’objet. Évoquer son arrivée à Edge était toujours comme une piqûre de rappel de la situation avec ses parents. Elle souffle un coup, pour se purger de ces pensées nocives et son regard retombe sur sa jolie voisine. « Mais en effet, lui c’est un p’tit nouveau. » Dit-elle en désignant le vélo du menton. Elle pose la clé à molette, s’avance vers la garagiste et s’accroupit pour jeter un œil au travail, seule l'une des roues sépare leurs deux visages. « Sa propriétaire s’appelle Mia, elle est très étourdie et un peu idiote. » Dit-elle avec une petite voix, puis elle esquisse un sourire innocent et son regard se plante dans celui de son interlocutrice. Mais la seconde d’après, la voilà qui se relève brusquement, trop impressionnée par la jeune femme pour entretenir plus longtemps cette proximité géographique. Elle fait mine d’inspecter les lieux, s’empare de nouveau de la clé à molette dont le contact contre sa main semble si rassurant. « Et toi ça fait longtemps que tu travailles ici ? » Son regard se repose sur elle. « En tout cas moi et mon vélo ça fait un moment qu’on te croise. »

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À côté d’elle, sa voisine s’agitait. Il n’était pas compliqué de remarquer son malaise, ses yeux semblaient chercher quelque chose à quoi raccrocher sans jamais trouver de prises. Ariadne ne savait pas toujours comment s’y prendre avec les timides, elle-même pouvait devenir nerveuse en leur présence tant elle ne savait par quel bout les prendre ou même comment les rassurer. Elle espérait que la propriétaire du vélo se détende par elle-même, mais comment lui en vouloir ? N’avait-elle pas jeté quelques minutes plus tôt son vélo sur la route pour finalement réparer les dégâts causés sur ce qui semblait être un coup de tête ? Elle-même pouvait reconnaître que rien de tout cela n’avait de sens sur le papier. Elles n’avaient pas démarré sous les meilleurs auspices, toutes les deux, mais peut être pourraient elles en rire si… Eh bien, si elles arrivaient à surmonter cet événement et dépasser l’échange de banalité.

Elle répondit à ses remerciements par un signe de main rapide. Ariadne ne comptait pas lui renvoyer une politesse, cela légitimerait le fait qu’elle ait abandonné à plusieurs reprises son vélo devant son établissement. Bien que réparer l’engin puisse paraître contradictoire, elle estimait que le message était passé dorénavant. Elles étaient quittes, en quelque sorte.

Alors qu’elle terminait de réajuster la chaîne, sa voisine lui apprit qu’elle habitait dans le coin depuis six mois. Le vélo, quant à lui, était nouveau. Leurs regards se croisèrent aussi vite qu’ils se laissèrent. Mia, puisque c’était son nom, manifestement troublé, avait détourner presque immédiatement son visage, ce qui éveilla la curiosité d’Ariadne. Étourdie sans doute, idiote peut-être, mais mignonne assurément, pensa la mécanicienne, trop heureuse de ne pas lui avoir fait part de cette constation à voix haute. En d’autres circonstances, elle se serait sûrement amusée à flirter, elle avait comme l’intuition que quelque chose pouvait se jouer, mais la nervosité de son interlocutrice l’empêchait de manœuvrer, elle avait la sensation que la moindre maladresse effrayerait l’autre. Ariadne n’avait après tout jamais été très subtile sur ce terrain… Elle fonçait tête baissée, avec insolence, manquait souvent de délicatesse et s’en amusait. La fragilité apparente de son interlocutrice la dissuadait de jouer avec elle. « En tout cas assez maline pour réussir à faire réparer son vélo par celle qui l’a esquinté. » Répondit-elle en souriant. « Ariadne. » Se présenta t’elle finalement en se relevant à son tour, rangeant un chiffon dans la poche arrière de son jean.

Mia n’avait pas lâché une de ses clés à molette qu’elle faisait mine d’inspecter de long en large. Si cela pouvait la rassurer… Ariadne ne le relèverait pas. Sa voisine relança la conversation, s’informa son travail. La mécanicienne fronça ses sourcils, fit mentalement le compte des années passé ici. « Je donnais des coups de main à Joe, l’ancien propriétaire, depuis longtemps avant qu’il me lègue tout ça. Ça fait quatre ans que le garage m’appartient. On était dans le Taudis du secteur six avant, il a voulu reconstruire l’établissement à l’identique quand on a migré dans Edge. Il a fait un sacré boulot. » Ariadne devenait bavarde quand on évoquait son garage et lorsqu’elle avait la possibilité de parler de Joe, le simple fait de se souvenir de lui la faisait sourire. Mais Mia venait de lui livrer une information intéressante, ainsi donc, elle n’était pas passé inaperçu. « Je vais finir par croire que tu as planté ton vélo là volontairement. » Sous-entendu encore une fois qu’elle était maline, après tout n’était-ce pas là le meilleur moyen pour entrer en conversation avec elle ? Elle n’avait pas plus se retenir plus longtemps, il faut dire que sa voisine ne lui facilitait pas la tâche. Mais comme pour l’inviter à ne pas trop faire cas de sa taquinerie, Ariadne fit une sorte de grimace en secouant un peu la tête pour se moquer de sa propre approche et ainsi, peut être, rassurer Mia sur ses intentions. « Il y a donc encore des gens qui viennent s’enterrer volontairement à Edge… » Rien d’étonnant à cela, la ville était en expansion, à ce train là peut être dans quelques années, deviendrait-elle aussi imposante que Midgar. À croire qu’on ne retenait pas les leçons du passé. « Et pourquoi, si c’est pas trop indiscret ? » l’interrogea t’elle en cherchant à croiser son regard. Il fallait qu’elle trouve rapidement un prétexte pour poursuivre la conversation, après tout, son vélo ne présentait que des petits soucis superficiels qu’elle avait tôt fait de régler. Mia pouvait s’en rendre compte, la remercier et partir… Il fallait reconnaitre qu'Ariadne n'avait pas envie de la laisser filer aussi vite.

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C’est vrai que c’était quand même le comble. Quelques instants plus tôt, elle lui détruisait son vélo et maintenant elle s’afférait à lui réparer. Mia ne savait pas comment elle se débrouillait, mais elle se retrouvait trop souvent dans ce genre de situations absurdes… Et cette fois-ci, il fallait avouer que ce n’était pas pour lui déplaire.
Ariadne. Mia refreina un sourire. Elle trouvait que ce prénom lui allait bien.

Toujours cette sensation qu’on pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert. En fait, chacune de ces émotions semblaient s’écrire sur son front. Là, elle était carrément mal à l’aise et elle ressentait que son interlocutrice le savait. Elle n’avait jamais su comment gérer ses émotions et admirait ceux capables de ne pas laisser transparaître les leur. Peut-être qu’Ariadne faisait plutôt partie de cette catégorie de personnes … A part quand on laissait trainer son vélo devant chez elle, visiblement.
Pendant une seconde, Mia s’étonna d’apprendre que la demoiselle était la patronne du garage. Si elle avait déduit depuis un moment qu’elle était bien employée ici, elle n’avait pas imaginé qu’elle en était la propriétaire. Cela expliquait son implication sur l’occupation du trottoir par d’autres véhicules… Et ça confortait Mia dans son impression, Ariadne était une femme impressionnante. Après tout, elle qui n’avait jamais été propriétaire de quoi que ce soit et encore moins patronne de qui que ce soit, ça lui paraissait à la fois cool et inaccessible.

« Quoi ?! Mais non ! » S’écria Mia en un quart de seconde, alors qu’Ariadne supposait qu’elle avait laissé volontairement son vélo devant son garage. Le feu lui était monté aux joues mais très vite elle se rendit compte qu’on risquait de prendre un peu trop au sérieux son embarras. Elle tenta de ponctuer d’un rire, genre « héhé ton insinuation me gêne pas du tout, je suis grave détendue » mais c’était assez catastrophique, et Mia n’arrivait pas du tout à se départir de son éternel embarras…
La seconde d’après, la voilà en proie à un questionnement intérieur. Et si inconsciemment elle avait fait exprès ? Après tout, elle avait remarqué Ariadne et c’est vrai qu’elle la trouvait jolie. Et si son inconscient lui avait fait garer son vélo ici, justement pour attirer son attention ? Mouais, peut-être. Mais dans ce cas c’était vraiment le pire des plans puisqu’elle avait bien failli perdre l’estime de sa voisine ainsi que son véhicule. Elle décida de laisser tomber cette pensée aussi rapidement qu’elle lui était venue.

« Disons que j’étais déjà enterrée à Kalm… Alors je vois mon emménagement à Edge plutôt comme une sortie de sous terre. » Kalm était une cité paisible, avec ces quelques bars et commerces, rien à voir avec le dynamisme d’une ville comme Edge en pleine expansion. C’était une des raisons qui avaient attiré la graphiste à s’installer dans la ville, mais pas la seule… « A la base je voulais m’installer ici pour trouver un job, les offres d’emploi sont rares à Kalm et j’avais pas envie de rester indéfiniment chez mes parents. Et puis… » Elle se demanda un instant s’il était sage d’évoquer la deuxième raison, mais sa langue pensa à sa place : « Il y avait aussi cette fille dont j’étais folle amoureuse, mais deux mois après mon arrivée à Edge, on s’est séparées. » Dit-elle avec un sourire embarrassé et un haussement d’épaule. Puis, riant légèrement, elle ajouta : « Bon, accessoirement c’est peut-être la meilleure chose qui me soit arrivée ces derniers mois, cette fille était complètement tarée. » Le genre de nana jalouse et possessive, souvent malhonnête et certainement bipolaire. Bref, autant dire que Mia préférait en rire aujourd’hui. « En tout cas, ça m’a pas empêché de trouver un colocataire et un job. Bref, je me plais bien ici… » Tandis qu’elles échangeaient ces banalités qu’une rencontre entre deux personnes impliquait forcément, Mia sentait le regard d’Ariadne sur elle. Son naturel timide ne lui permettait pas de l’affronter, mais elle savait aussi que cela lui plaisait. Alors, après quelques temps à lutter, elle planta finalement son regard dans celui de la garagiste : « Le voisinage est des plus plaisants. » Un petit rictus se dessina tandis que ses yeux lançaient des éclairs malicieux.

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Elle s’était attendue à une réaction vive, mais pas à une telle explosion. Ariadne ne put retenir de rire alors que Mia semblait elle-même étonné par l’énergie qu’elle avait déployé pour objecter. Sa voisine chercha rapidement à vouloir camoufler le tout en adoptant une attitude plus décontractée, ce qui amusa toujours un peu plus la mécanicienne qui secoua la tête en haussant les épaules, le sourire aux lèvres. « D’accord, d’accord… » Répondit elle en faisant mine de retourner travailler sur le vélo. « Dommage. » Souffla t’elle en surjouant la déception avec un fond de sarcasme mais sans doute peu de vérité, aussi.

« Kalm ? » De suite Ariadne aborda un air désolé et fit une grimace pour signifier qu’elle compatissait. Elle ne s’y était personnellement rendu qu’à de très rares occasions, mais s’y était ennuyé ferme. Le coin était joli mais portait bien son nom, trop calme pour elle. « La définition de l’enfer. » Bien sur qu’elle exagérait, elle n’était pas aveugle au point d’ignorer les charmes de la région. Au fond sans doute aurait elle volontiers troqué son enfance dans les taudis contre une vie à Kalm, et peut être était-ce là le motif de sa colère, savoir que ce genre d’endroit existait. Pendant que Mia lui livrait plus de précisions sur les raisons qui l’avaient poussé à quitter la ville et qu’Ariadne s’apprêta à lui dire qu’elle n’avait pas besoin de justifier plus longtemps ce choix légitime de quitter ce trou tout en enlevant son vélo du support de réparation, sa voisine évoqua son histoire d’amour avec une femme. On y était.

Elle progressait maintenant en terrain inconnu. Ariadne avait besoin d’un contexte pour la drague, et n’avait à faire qu’à un certain type de profil. Ses histoires ne duraient habituellement qu’une nuit où était si brève qu’elle peinait à les qualifier de vraies relations. C’était des rencontres, tout au plus, du moins c’était le mot qu’elle employait pour en parler. Elle ne s’était donc pas imaginer que sa jolie petite voisine lui tende finalement des perches, curieusement elle avait cru avoir le monopole sur ce terrain-là, alors lorsqu’elle avança que le voisinage était des plus plaisants et que ses intentions dévirent on ne peut plus clair… Elle perdit tout bonnement ses moyens le temps d’une fraction de seconde. « Oh. Merde. » Elle rit pour sauver les apparences, se fut même elle qui se détourna cette fois. Elle préféra se concentrer sur le vélo qu’elle tenait par le guidon, le temps qu’il fallait pour s’insulter mentalement et se ressaisir. « Désolé, mais je vais vraiment finir par croire que tout ça faisait partie d’un plan diabolique. Tu peux tout aussi bien m’inviter à prendre un verre, plus conventionnel, mais assez efficace. C’est une méthode qui a fait ses preuves. » Appuyant son propos par un petit mouvement de tête, son trouble avait disparu. « Ariadne, téléphone ! Le type dit que c'est urgent ! » Hurla Dennis à travers le garage. Son sourire disparu instantanément alors qu’elle jeta un regard noir à son ami et employé. « Désolé, j'arrive. » Marmonna t’elle en guise d’excuse à son interlocutrice, donnant un petit coup de pied dans la béquille du vélo pour le faire tenir en équilibre. Lorsqu’elle gravit les marches vers son bureau et que Dennis lui adressa un sourire goguenard, donnant l’impression qu’il savait pertinemment qu’il avait écourté sa parade, elle lui asséna un coup de poing dans le bras avant de le pointer du doigt pour l’avertir qu’elle retenait ce sale coup. Lui se contenta de lever ses mains en abordant un air innocent, et lorsque la porte claqua derrière la propriétaire, il se pencha sur la rambarde en dévorant Mia des yeux. Allez savoir s'il s'imaginait des choses, ou s'il voulait juste les embêter à sa manière...

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Sa malice ne dura le temps que d’une seconde avant de laisser place à un terrible effroi.
Oh merde, oui. Elle n’aurait pas pu dire mieux. Ses joues constellées de tâches de rousseur lui donnaient chaud d’un coup, elle sentait qu’elle rougissait, ce qui n’améliorait pas son état. Si pendant un instant elle avait fait preuve d’initiative, la voilà toute décontenancée et perdant ses moyens. Elle se mit à bégayer comme une enfant, cherchant une phrase, n’importe quoi, pour rattraper la situation. Mais elle n’eut nullement le temps d’en placer une qu’Ariadne suggérait encore une fois que tout ceci ne faisait que partie d’un plan savamment monté pour la séduire.

Déconcertée de plus belle, Mia aurait voulu disparaître pour de bon. Heureusement – c’est ainsi qu’elle le vit – la belle garagiste se fit appeler par un de ses employés, elle était visiblement demandée au téléphone. Mia souffla un bon coup quand la jeune femme se fut éloignée. Mais elle remarqua qu’elle n’était pas toute seule, l’employé était toujours là et la fixait d’un regard lubrique… Ok, là Mia commençait à sérieusement vouloir prendre la fuite. Dans d’autres circonstances elle aurait peut-être cherché à rétorquer quelques choses à cet homme et ses regards déplacés, mais là elle ne voulait pas prendre le risque de se brouiller avec l’employé du garage voisin.
Souffler encore un coup, se redresser, récupérer un minimum de contenance.

Merde. Maintenant qu’elle avait repris ses esprits, elle se rappela qu’elle était censée retrouver des amis. Quelle heure était-il ?! Un coup d’œil vers son PHS l’informa qu’il était déjà bien trop tard. Elle regarda successivement son vélo, qui avait maintenant récupéré sa superbe, et l’employé, qui était reparti bosser dans un coin du garage. « Hum… » Dit-elle pour l'interpeller. Celui-ci ne releva pas immédiatement et Mia dut s’approcher plus près et faire un signe de main pour finalement capter son attention : « Je dois partir, pourrez-vous dire à Ariadne que je lui dis merci ? » L’homme hocha la tête et grommela une sorte d’affirmation. Enfin, c’est ce que Mia espérait… Elle s’empara de son vélo, fit quelques pas puis se tourna à nouveau vers lui : « Oh, et dites lui que je suis désolée… Pour tout le dérangement… Merci. » Un sourire se dessina sur le visage de l’employé, pas très éloigné de l’expression qu’il avait eu quelques instants plus tôt lorsqu’il l’avait observé. « Pas de problème la miss. » Dit-il tout en lui faisant un signe de la main. Mia continua son chemin en se disant que si la propriétaire de ce garage lui avait semblé charmante, elle était beaucoup moins séduite par cet employé…

Une fois en route, elle eut du mal à se changer les idées. Mia était traversée par des sentiments contradictoires : à la fois réellement enchantée d’avoir fait la connaissance de sa voisine mais également très embarrassée. Elle n’avait pas la moindre idée de l’impression qu’elle avait dû laisser à Ariadne. Enfin, si on mettait à part la vilaine petite voix dans sa tête qui lui disait qu’elle était passée une fois de plus pour une idiote. Mais une autre intuition lui faisait penser qu’il ne s’agissait pas là de l’entière vérité… Peut-être qu’elle laisserait un petit quelque chose dans la boîte aux lettres du garage, histoire de la remercier pour la réparation.
Peut-être un numéro de téléphone ? Humpf, non, mauvaise idée.

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« Allo ? » La voix pincée d’un client important s’annonça au bout du fil. Distraite par son échange avec Mia, Ariadne du rapidement se ressaisir lorsqu’on la pressa de répondre à une question qu’elle n’avait pas écoutée. Prétextant qu’on l’avait dérangé, elle demanda poliment à son interlocuteur de répéter en se penchant sur son bureau. L’échange s’éternisait, son client était ennuyeux à mourir et prenait entre deux phrases de longues pauses de sociétaires. Elle se mit à compter mentalement les secondes qui s’écoulaient entre ses prises de paroles et ponctuait leur conversation de petites banalités pour attester qu’elle était toujours en ligne. Lorsqu’enfin furent échanger les dernières cordialités avant qu’ils ne raccrochent, Ariadne fut surprise de constater en consultant l’horloge de son bureau que la conversation n’avait pas duré tant de temps que ça. Elle jeta très vaguement un coup d’œil à son miroir, rangea deux mèches de cheveux derrière son oreille avant de revenir vers le garage.

Mais alors qu’elle descendait les marches qui la séparait de sa fortuite rencontre du jour, elle dut se rendre à l’évidence : Mia n’était plus là. Pas de traces de sa voisine, pas plus de son vélo. Elle fronça les sourcils, vérifia entre les couloirs de voitures, mais elle avait tout bonnement disparue. Plus touché qu’elle ne l’aurait escompté par cette fugue, elle haussa les épaules comme pour se convaincre que ce n’était rien. Mais son esprit n’était pas tranquille, elle n’arrivait pas à se satisfaire d’une conclusion aussi frustrante. La garagiste s’avança vers Dennis, frappa deux petits coups sur le véhicule sous lequel il travaillait et s’y adossa. « Elle t’a dit quelque chose, la fille avec qui je discutais ? » « Euh ouai… » Lança t’il faussement absorbé par son travail. Elle devinait sa malice, son envie d’étirer le suspens mais elle n’était pas d’humeur. « Dennis ? » Comme elle l’entendait rire, elle lui flanqua un petit coup de pied dans le tibia pour le presser, ce qui sembla enfin le décider à livrer ses informations. « Elle a dit qu’elle te remerciait. Et un truc du genre qu’elle était désolée. » « C’est tout ? » « Ouai. » Ariadne resta là à contempler le corps à semi enfoui de son employé avant de se redresser, déçue. Sûrement allait elle la recroiser, elle savait maintenant qu’elle était du quartier, elle n’avait qu’à ouvrir l’œil. Mais sa voisine voulait elle seulement la revoir ? Elle aurait aimé avoir plus de précisions mais ne voulait pas insister auprès de Dennis qui semblait franc, Mia n’avait pas du lui en dire plus. Après quelques pas hésitant, planté au milieu du garage ou elle se sentait bêtement abandonné, elle échangea quelques consignes avec ses employés avant de remonter dans son bureau. Machinalement elle se planta à la fenêtre depuis laquelle, un peu plus tôt, elle avait observé le vélo abandonné. Elle sonda la drôle de sensation que lui avait laissé cette rencontre, ce gout n’inabouti qu’elle digérait mal mais qui lui donnait l'envie d’en savoir plus. Elle s’en remit au destin pour la suite de l'histoire.