The world is ours ☼ Aileen & Ariadne

Son corps vibrait au rythme des basses, les bras levés vers le ciel et les yeux clos, Ariadne dansaient au milieu de la piste. Sa tête penchait dans un sens puis basculait dans l’autre, elle suivait la musique avec une douceur sensuelle qu’elle accentuait à mesure que l’alcool s’insinuait dans ses veines. Il lui avait fallu du temps pour se faire une place dans cet univers, aujourd’hui, elle donnait l’impression d’être faite pour vivre dans ce monde. Elle se déplaçait dans l’établissement comme sur un terrain conquis, se mouvait avec insolence et se mêlait aux conversations avec une aisance déconcertante. Tout ça, elle avait appris à le fabriquer et, enfin, elle prenait presque plaisir à le jouer.

Depuis combien de temps étaient-elles là ? Elle ne comptait plus. La soirée avait commencé tôt, Aileen sur un coup de tête lui avait annoncé la couleur d’une nuit prometteuse en se soustrayant à l'attention de son idiot de garde du corps et depuis, elles enchaînaient toutes les deux les verres. D’une traite, elle finit le fond de celui qu’elle avait en main avant de la chercher du regard. Elle la remarqua quelques mètres plus loin, assise à leur table, téléphone en main. Ariadne tenta de l’appeler, mais sa voix était couverte par la musique, la blonde semblait prendre une photo et l’ignorait tout bonnement. Qu’à cela ne tienne, la brune rattrapa les quelques mètres qui les séparaient, manqua de tomber et éclata de rire en se cognant à un danseur qui voulut l’entraîner à nouveau sur la piste. Mais Ariadne déclina l’invitation, se déroba sans manquer de lui jeter un regard lascif, comme une invitation à poursuivre ce petit jeu plus tard. En se détournant elle remit de l’ordre dans ses cheveux, dû à nouveau se repérer dans l’espace pour retrouver Aileen et, une fois sa cible repérée, s’avança d’un air décidé jusqu’à leur table.

« Qu’est-ce que tu fais ? » Lança t’elle en se plantant devant la banquette, remarquant par ailleurs qu’elles avaient été réapprovisionné en alcool et que sur leur petite table trônaient deux verres qui n’attendaient que d’être bu. Mais Aileen était concentré sur son écran et ne semblait toujours pas l’avoir remarqué. Loin de s'en formaliser, sourire aux lèvres, Ariadne se pencha au-dessus d’elle. « Aileen, qu’est-ce que tu fais ? » Répéta t-elle un peu plus fort en glissant sur la banquette pour s’asseoir à côté d’elle et espérer avoir un aperçu de ce qui occupait tant sa meilleure amie.

Mes ongles tintaient sur mon verre. Encore et encore au rythme de la musique. Il y a quelques instants encore j'ondulais sur la piste, oubliant un instant les Corneo, oubliant de jongler entre la pègre et le show-business pour simplement profiter. Je l'avais voulue cette escapade. J'avais entrainé Ariadne dans mon sillage – comme bien souvent ces dix dernières années. La convaincre de berner Mateus et de profiter de la soirée n'avait pas été difficile. Je ne comprenais pas vraiment cette inimité manifeste qui existait entre eux. Je le trouvais plutôt amusant mon petit garde du corps. Il ne se laissait pas faire et c'était amusant. Amusant, c'était le mot. J'aimais m'amuser à ses dépends. Le pousser à bout. J'aimais le voir s'animer sous l'effet de la colère. Ne me demandez pas pourquoi. Je ne saurais le dire.

C'est sans doute pour ça – et aussi à cause de la grande quantité d'alcool que j'avais ingéré – que l'idée de ce petit jeu m'était venu. J'avais quitté la piste et retrouvé notre petit coin de privilégié pour mieux recadrer une photo des commerces de la place centrale pour en faire un jeu de piste cryptique. J'espérais qu'il ne me décevrait pas. La soirée ne faisait que commencer et jouer à distance avec ses nerfs avait un petit côté jouissif.

Du coin de l'oeil, j'avisais le barman et lui fit un petit geste. Il me connaissait bien et savait qu'une recharge s'imposait. Tout le monde n'était pas servi à table mais je faisais partie des clients privilégiés. Pas à cause de mon nom. Pas ici. A Costa Del Sol, j'étais tout simplement Loveless et pas la fille Cornéo. La présence d'une célébrité attirait les clients, les consommations étaient offertes. La cité balnéaire offrait bien des plaisirs qu'il était délicat de refuser. Mais l'ennui pouvait facilement me gagner au milieu du tumulte. Comme à cet instant. Extatique quelques heures plus tôt, blasée à présent, effet de l'alcool ou non, ce petit jeu ravivait la flamme. C'est donc le sourire au lèvres que je pris une photo du club avant de l'envoyer à Mateus.

Satisfaite, je me perdis quelques instants dans la contemplation de mon écran. Combien de temps lui faudrait-il pour arriver à présent ? J'étais curieuse de le découvrir. Un sourire taquin éclairait mon visage jusqu'à ce qu'un sursaut me saisisse tandis qu'Ariadne m'interpelait. Je ne l'avais même pas entendue arriver. Elle était pourtant diablement proche. Je n'étais pas si distraite d'habitude. L'alcool sans doute.

« Trois fois rien. Un petit jeu. »

Rien que ces mots pouvaient suffir à l'inquiéter. Elle ne connaissait que trop bien mais diverses lubie. Fidèle confidente, elle avait assisté à tous mes excès. D'un geste vif et un peu aussi pour tenter de détourner la conversation – peine perdue – j'attrapais les verres posés sur notre table avant de tendre le sien à Ariadne.

« Santé ? »

Avec la musique ambiante, je n'avais même pas entendu le tintement des deux verres l'un contre l'autre. L'attaque étant la meilleure des défenses, je me penchais à son oreille pour lui glisser, taquine :

« Quelqu'un d'intéressant sur la piste ? »

Un petit jeu. Ariadne savait ce que cela impliquait. Elle ne quitta plus Aileen du regard, comme si le pouvoir de l’alcool lui permettait de sonder son esprit. Ses yeux étaient plissés et elle avait penché légèrement la tête pour indiquer qu’elle attendait quelques explications. Mais les pensées de sa confidente étaient impénétrables. Ariadne était, et ce malgré les années passé aux côtés d’Aileen, toujours étonnée par les inventions de la jolie blonde. Dans ce duo, elle suivait l’esprit prodigieux de l’héritière des Corneo, elle s’en remettait toujours à lui et lui vouait une confiance aveugle. Si elles n’avaient pas de secret l’une pour l’autre, la brune savait qu’une part d’Aileen lui serait toujours inaccessible.

De toute évidence, son amie cherchait à détourner la conversation. Aussi alcoolisé soit elle, Ariadne s’en rendait bien compte et quoi qu’acceptant volontiers de trinquer une énième fois, elle ne lâcherait pas l’affaire. « Santé ! » Lança t’elle joyeusement lorsque son verre rencontra celui de la blonde dans un tintement étouffé par la musique. Elle but quelques gorgées avant d’essuyer le coin de ses lèvres, continuant de se trémousser au rythme de la musique en observant Aileen. Mais elle ne lâchait rien, pire, elle esquivait encore le sujet en la questionnant à son tour. Ariande haussa les épaules en secouant un peu la tête. Avait elle fait une rencontre intéressante ? Elle avait répondu avant de se poser la question. Elle tourna la tête vers la piste, se rappela de l’homme qu’elle avait bousculé et pinça sa paille entre ses dents en sirotant son cocktail. « Il y a bien ce type. » Lança-t-elle plus comme une proposition qu’une certitude en le remarquant à quelques mètres. Il était parfois compliqué d’obtenir d’elle quelque chose de satisfaisant sur le sujet. Ariadne parlait crument de ses multiples rencontres, mais avec un désintérêt flagrant qui rendait ses récits parfois frustrants. Aileen avait dû lui apprendre bien des choses sur le sujet, par exemple de se laisser désirer. Plus jeune, elle avait cédé facilement à quelques avances d’hommes qui ne lui plaisait pas, non pas qu’elle manqua de volonté, plus… Par ennuie.

Elle était partie loin dans ses souvenirs. Que s’était il passé ces dernières secondes ? Ariadne secoua un peu la tête, s’ébroua et reprit une gorgée d’alcool. « Crois pas t’en tirer aussi facilement, toi. » Lança t’elle en reposant son verre. Mais qu’Aileen s’estime heureuse, soudainement elle avait bien plus envie de retourner sur la piste qu’élucider ses mystères. « Est-ce que tu dois nécessairement commanditer ton plan diabolique depuis cette banquette ? Allez viens ! » Proposa t’elle en tirant un peu sur son bras. Quelle affaire pouvait donc la retenir ? Devait-elle plutôt imputer une personne ? Aileen cherchait elle à tourmenter quelqu’un ? « Mateus ? » Lança t’elle comme si son amie avait eu accès à tout son cheminement muet. Ariadne ignorait si elle voulait entendre une réponse positive ou négative. Bien que l’idée de martyriser toujours un peu plus le garde du corps puisse l’enchanter, la perspective que ce soit lui qui retienne Aileen pourrait l’irriter…

C'était frustrant. Vraiment. Obtenir d'Ariadne une réponse concernant ce qu'elle pensait – d'un point de vue purement physique – de tel ou tel individu me laissait toujours sur ma faim. J'aurais du le savoir pourtant. Elle parlait de ses aventures comme d'autres lisent l'annuaire. Ce genre de récits nécessitait pourtant du frisson, de la tension. Bref, de quoi vous mettre en appétit. On ne décrivait pas tout ça comme on lit une procédure clinique ou un livre de cuisine. Décidément, ils étaient tous bien trop frustrant. Si on ajoutait à cela le côté puritain de Mateus qui ne réagissait ni à mes sous-entendus ni à mes tentatives éhontées de le séduire... Désespérants. Ils étaient tous désespérants. Et sur cette amère constatation, j'avais besoin d'alcool. Ce qu'il restait de mon verre fut donc bu d'une traite avant que je ne réponde à mon amie.

« Tu devrais danser avec lui. Il ne demande que ça. Et puis, il est plutôt pas mal dans son genre. »

Les coups d’œil qu'il lançait dans notre direction était équivoques et, Ari aussi avait bien le droit de s'amuser un peu. C'était aussi pour cela que les gens venaient à Costa Del Sol. S'oubliait le temps d'un court séjour. Mais, la demoiselle n'était pas aussi facile à endormir. Elle revint à la charge tandis que j'affichais mon air le plus innocent. Une chance pour moi, ce retour en force ne semblas durer plus de quelques instants. Il était maintenant question de retourner danser. Mon petit plan était en marche, je n'avais plus qu'à le laisser mijoter. Pour la forme, je fis mine de résister quelques instants tandis que la garagiste me tirait par le bras. Ce n'est qu'au moment où elle prononça le mot Mateus que, surprise, j'oubliais de résister et me retrouvais projetée en avant mais bien debout sur mes deux jambes. Titubant une demie seconde, je me retournais vers elle. Un petit sourire énigmatique aux lèvres.

« Peut être. »

Lissant ma combinaison afin d'éviter tout potentiel pli lié au fait d'être restée assise si longtemps, j'attrapais ensuite la demoiselle par le bras avant de l’entraîner sur la piste de danse. C'était bien ce qu'elle voulait après tout non ?

La musique les entourait à présent et Loveless se laissait aller à son rythme, virevoltant sans faire cas des gens alentours. Leur petit duo avait rapidement été repérer et d'autres corps en mouvement les avaient rejoints. Proches, peut être trop proches mais je savais comment esquiver les contacts un peu trop importuns. Me rapprochant un peu plus d'Ariadne je lui glissais à l'oreille.

« On dirait que ton soupirant s'approche. Derrière toi. »

Il avait le regard conquérant de l'homme espérant passer une bonne soirée. Mais, il se rendrait bien vite compte qu'Ariadne menait la danse et pas lui. En parlant de mener la danse, je me demandais bien combien de temps mettrait Mateus pour arriver jusqu'ici. Je serais très déçue, vraiment, s'il n'y parvenait pas. Après tout, on n'était jamais à l'abri d'un kidnapping, d'une demande de rançon ou de je ne sais quel jeu tordu. C'était son travail de veiller à ne pas me perdre et, si cela arrivait tout de même, à me retrouver rapidement.

Ariadne continuait de danser machinalement au rythme de la musique, le cœur pourtant n’y était plus. Aileen venait de confirmer à demi-mot ce que la garagiste redoutait activement, soit un rapprochement imminent entre son amie et l’imbécile qui lui servait de garde du corps. Tout ce qu’elle pouvait espérer maintenant, ce fut que la blonde se lasse si elle n’obtenait pas gain de cause. Ariadne avait été aux premières loges pour assister à ses tentatives de séductions infructueuse, Mateus se bornait à ignorer ses avances ce qui avait le don d’échauffer toujours plus celle qu’on surnommait Loveless. Le problème ? Elle arriverait à ses fins. Ariadne n’avait aucuns doutes sur la question, nul n’avait réussi à lui échapper à moins qu’elle ne changeât d’avis. Or, elle doutait que, dans ce cas de figure, son amie puisse abandonner délibérément la partie. « Sérieusement ? » Glissa t’elle sans parvenir à cacher son amertume. Elle ne sut si elle l’avait dit assez fort pour être entendue, mais à son expression, on comprenait assez rapidement ce qu’elle avait souhaité exprimer.

L’inconnu revenait à la charge, Aileen le lui signala en se penchant à son oreille. Ariadne craignait qu’elle ne se replongeât dans son téléphone dés qu’elle se serait éloigné et qu'elle ne cherchait là qu'à se débarasser d'elle. Jalouse ? Extrêmement, elle ne s’en était jamais caché. Ariadne était possessive, en particulier avec Aileen. Elle avait toujours adopté une attitude méfiante vis-à-vis de ceux qui voulait entrer dans son cercle, souvent des idiots de passage qui disparaissait aussi vite qu’ils n’étaient apparus et défendait activement son territoire. Mais avec l’autre, c’était différent. Elle flairait le danger. Refusant pourtant que la nouvelle l’empêche plus longtemps de profiter de la soirée, et trop fière pour reconnaitre que cela l’affectait, elle chercha à se ressaisir en puisant un peu de force dans son verre. « Bon, puisque tu me largues… » Lança t’elle en lui adressant un clin d’œil avant de reculer vers l’inconnu.

Aileen avait raison, il n’était pas mal du tout. Ariadne se colla outrageusement à lui en plantant son regard dans le sien, continuant d’onduler au rythme de la musique en effectuant des mouvements de plus en plus lascifs. Inutile de rappeler qu’elle n’avait jamais été très subtile lorsqu’il s’agissait de séduction, en règle générale elle prétendait ne pas avoir de temps à perdre. Sa main s’égara derrière sa nuque en sueur, elle l’attira à elle et fondit vers ses lèvres alors qu’il l’attrapait par les hanches. Le baiser s’éternisait, leurs mains s’aventuraient dangereusement sur le corps de l’autre lorsque, sans crier gare, il lui demanda. « Ta copine ne voudrait pas se joindre à nous ? » Alors qu’Ariadne reculait un peu, il lui désigna Aileen du menton avec un air bien trop gourmand. Si elle se serait amusée à le laisser croire qu’il puisse en avoir la chance dans d’autres mesures, ce soir, elle n’avait pas la patience de gérer ce genre de cas. Esquissant un sourire, elle lui adressa un doigt d’honneur avant de le planter sur la piste. Elle ne lui en voulait pas, ça ne coutait rien d’essayer, elle était juste déçue de devoir faire une croix dessus si vite alors qu’il avait réveillé ses sens. « Aileen, j’ai besoin d’un autre verre, c’était une mauvaise pioche. » Lança t’elle à son amie en revenant vers elle. « Merde, non, je veux pas retenir ça plus longtemps. Mateus est un con. » Lâcha t’elle comme une bombe en plantant son regard dans celui d’Aileen. « Je veux dire… Non, Aileen. Pas lui. » Poursuivit elle comme une supplique. « Parce qu’on sait toutes les deux comment ça va se terminer cette histoire. Et je n’aime pas ça, Aileen, je n’aime pas ça du tout. Je sens que… C’est pas une bonne idée ! » Conclue t’elle précipitamment après avoir cherché ses mots. Exercice devenu de plus en plus ardu à mesure que l'alcool faisait effet.

Je sentais bien que mon intérêt pour mon garde du corps dérangeait Ariadne. Elle avait toujours été très protectrice et, si elle supportait amis et amants de passage, la garagiste avait toujours détesté que l'on se rapproche trop près de moi. Il faut dire que la plupart du temps, nous nous suffisions à nous même. Les autres n'étaient que des figurants. Des pions habilement placés sur notre chemin, pavant notre route au sommet. J'avais bien entendu le mot lâché comme un sifflement et son expression amère. Ary n'appréciait pas Mateus. Depuis le début. Si je n'avais pas été enchantée par son arrivée – comme de celle d'aucun de ses prédécesseurs – il m'était vite apparu comme plutôt distrayant. Chose rare, il me résistait. C'était excitant et j'avais voulu pousser le jeu un peu plus loin sous le regard agacé et consterné de mon amie. Ses perpétuels rebuffades m'amusait pour le moment mais j'avais décidé de passer à un cran supérieur. Si au départ ce n'était qu'un jeu de tourment, aujourd'hui, j'avais vraiment envie de le capturer. De ferrer ma proie. Même si Ariadne ne me comprenait pas. J'aurais de toute façon été bien en peine de le lui expliquer. C'était ainsi et pas autrement.

De toute façon, son soupirant de tout à l'heure en avait après elle et j'aurais été une bien mauvaise amie que de lui refuser pareille sucrerie. Le jeune homme ne la quittait pas du regard. Il ne s'agissait pas là de me débarrasser d'elle bien au contraire. Plutôt de l'aider à se détendre. Elle était bien trop crispée dernièrement. Un peu d'endorphine ne pourrait que lui faire du bien. A moi aussi d'ailleurs. A présent seule sur la piste, je continuais à me mouvoir au rythme de la musique. Ondulant pour moi même et pas pour les autres, évitant les mains baladeuses des uns et des autres, préférant donc danser avec les autres jeunes femmes de la soirée.

Du coin de l’œil j'observais le ballet qu'offrait la garagiste aux yeux de la foule. Comme d'habitude, elle ne masquait rien de ses intentions. Aussi crue que sensuelle et un rire couvert par le bruit ambiant m'échappa. Les mains dérivaient au nord et au sud à tel point qu'il allait bientôt leur falloir migrer vers une chambre jusqu'à ce le bellâtre ne fasse un signe du menton en ma direction. Curieux. Je reconnaissais le désir sur le visage d'un homme même à plusieurs mètres de distance et la réaction d'Ariadne laissait assez peu de doute sur la tournure qu'avait pris leur petit tête à tête. C'était trop bête. Vraiment. Anticipant les besoins de mon amie, je reculais de quelques pas afin de retourner à notre table tout en faisant signe qu'on nous apporte à boire et vite. A peine les shots posés sur la table qu'Ary débarquait en trombe.

Elle avait à peine fini sa phrase que je lui tendais un shot. « J'ai cru voir ça oui. » Je pensais pouvoir m'en tirer à bon compte et que le sujet Mateus était clos mais, évidement la belle ne lâcha pas si vite. « Je sais. Mais tu sais aussi que c'est ce qui me plaît. » Les hommes – ou femmes d'ailleurs – trop gentils, trop lisses et trop plats, ce n'était pas pour moi. Seuls les cyniques, sulfureux ou nocifs attisait ma curiosité et embrasaient mes sens. Le vanille fraise, ce n'était pas pour moi. « Qu'est-ce qui te déplaît autant chez lui ? Ça ne peut pas être juste la perspective – hypothétique d'ailleurs – qu'on finisse pas coucher ensemble. » Je n'avais jamais été du genre à peser mes mots à ce sujet. Surtout pas avec Ariadne. Elle avait été témoin de beaucoup de chose, sans doute plus qu'elle comme moi l'aurions voulu. Et la réciproque était tout aussi vraie. L'alcool rendait la franchise d'autant plus facile. Descendant un nouveau shot – le shot de trop peut être – je penchais la tête sur le côté avant de la fixer de mes grands yeux. « Dis moi vraiment ce qui te tracasse. » Je ne savais pas encore qu'en cet instant précis, une autre petite blonde faisait jouer sa magie auprès du videur.

Aileen lui tendit un shot, Ariadne s'en débarrassa en une gorgée et fit claquer le petit récipient en verre contre la table. Elle souffla longuement, basculant sa tête en arrière, grognant comme un animal blessée avant de pincer l'arête de son nez entre son pouce et son index. Bien... Sans doute devrait elle freiner par la suite. Surtout si elles s'apprêtaient à avoir cette conversation. Si ce n'était pas la première fois qu'elle évoquait le problème Mateus, l'alcool, sans nul doute, délierais un peu plus sa langue sur le sujet. Mais Ariadne ne craignait pas d'aller trop loin, au contraire, elle se sentait pousser des ailes. "Écoute Aileen, ça ne s'explique pas, c'est un pressentiment." Elle secoua la tête, comme si cela fut évident, balaya l'air avec le revers de sa main avant de coller son poing contre sa hanche. "Il y a certaines choses qui ne doivent pas changer, tu vois? Que... Non-. Je ne veux pas qu'elles changent, ce ne serait pas bon. Pour le business, pour nous, pour...." Malheureusement, elle avait mis trop rapidement le doigt sur le problème. La peur du changement.

Elle identifiait Mateus comme étant une sérieuse menace. À peine avait il franchis la porte ce jour-là qu'elle avait su que cela ne pourrait pas coller entre eux. Et pour cause... Ils allaient se disputer l'attention de Loveless. L'ancien soldat peut être ne l'avait il pas immédiatement su, mais Ariadne si. Elle avait toujours prétendu avoir une sorte de don, du flair. Selon elle, elle sentait lorsque le vent tournait en leur (dé)faveur, or, lorsque Mateus était entré dans leur vie, ce ne fut pas un petit courant d'air mais une bourrasque qui s'était engouffré dans leur chaumière. "Je ne peux pas être la seule à l'avoir vu." Dit elle à voix haute en se confrontant au regard d'Aileen, la priant silencieusement d'être un peu sincère avec elle, mais aussi elle-même. "Et ne prétends pas que... Je sais pas... Qu'il ne faut pas que je m'inquiète à ce propos ? Que l'on a déjà été confronté à d'autres problèmes bien plus important ? Honnêtement, c'est vrai, je le sais. Je te fais juste part de mon ressenti." Machinalement, ses doigts cherchèrent à s'enrouler autour d'un verre, mais toutes les coupes présentes sur leur table étaient vides. Elle était dorénavant écrasée par le poids d'une drôle de mélancolie. "Je suis beaucoup plus bourée que toi, et tu sais que c'est injuste." Conclut elle en la pointant du doigt, d'un air mi-accusateur, mi-prétendument amusée. Elle ne voulait pas se départir de sa bonne humeur, ni sonner le glas d'une excellente soirée. "Et tu veux que je te dise ? J'aime pas sa bouche, j'aime pas ses lèvres quand il fait cette tête là..." Ajouta t'elle en imitant grossièrement Mateus avant d'être parcouru d'un frisson, souhaitant qu'Aileen ne puisse plus remarqué que ça chez lui et ne voit plus son garde du corps de la même façon. C'était trop éspérer, sans doute...