Sous les sunlights des tropiques ☼ Enoch & Mateus

Tu ne supportes pas cette chaleur, l’idée de te retrouver seul à l’extérieur t’as semblé être une bonne idée, mais maintenant que tu es assis là, tu regrettes. Pourtant ta santé mentale te le réclame, une seconde de plus dans cette chambre et tu explosais. Tu n’en peux plus de cette chanteuse et de ces caprices, elle n’a pas besoin de toi ce soir alors tu as pensé que tu pourrais en profiter, sortir, mais elle monopolise quand même tes pensées alors que tu couvres une page de ton carnet de gribouillis informes, aussi déstructurés que l’est ton esprit à l’heure actuelle. Ne peut-elle donc te laisser tranquille cinq minutes ? C’est la première fois depuis bien longtemps que tu n’es pas collé à elle, et tu n’en profites pas. Tu en es à ton troisième verre, tu tiens plutôt bien à l’alcool en règle générale, mais le soleil et la colère font mauvais mélange cette après-midi.

Tu sens quelques regards appuyés vers ta direction. Tu fais tache, certainement, dans le beau paysage. Ici les gens veulent que les figurants de leurs vacances se fondent dans le cadre idyllique de Costa Del Sol. Or les marques sur ton visage leur rappel qu’il existe autre chose, au-delà de l’océan, et tu veux abimer leur belle innocence. Insolent, tu n’hésites pas à soutenir le regard de quelques curieux, à ce petit jeu, c’est toi qui l’emportes toujours.

Tu te lèves finalement, te diriges vers le bar et commandes un nouveau verre. Le dernier, après tu t’en vas. Tu retardes le moment ou tu vas retourner dans ton hôtel, tu veux mettre un minimum d’ordre dans ton esprit avant de te reconfronté à Loveless. Le barman semble hésiter un quart de seconde à te resservir, tu ne fais pas bonne presse pour son établissement, honnêtement, tu t’en doutes, il voudrait que tu te tires. Il fait son job, te donner un verre, tu retournes à ta place. Un type louche sur les quelques horreurs que tu as couché sur le papier plus tôt. Tu lui dis simplement : « C’est à moi. »

Le soleil avait tapé toute la journée, faisant monter le thermomètre a des degrés trop élevé pour moi. C'était inconcevable de pouvoir vivre toute l'année dans une chaleur pareil. Je me sentais sale, gluant et déshydratés. Les bouteilles d'eaux s'étaient accumulés dans ma chambre d'hôtel depuis que j'étais arrivé. Pourquoi j'étais venu ? Demander donc à Otto. Il avait réussi à me jeter dans un bateau pour le continent central - ayant tout de même eu la bonté d'âme de me prévenir d'amener des vêtements légers, un maillot de bain et de la crème solaire. Il me fallait au moins la plus forte pour ne pas finir en chocobo grillé. Bien qu'il ne me serait jamais venu à l'idée de faire cuire ces mignons petits oiseaux à plumes. En tout les cas, ça changeait grandement de Edge, qui avait un climat plus acceptable. J'étais quand même arrivé à sortir de l'hôtel pour visiter Costa Del Sol, lunette de soleil sur le nez et le corps badigeonné de crème. Les coups de soleil ce n'était pas mon délire premier. J'avais aussi penser à acheter une ombrelle mais qu'est ce que j'en aurais fait une fois rentré ? C'était inutile du continent d'où je venais.
Ceci dit, j'avais au moins eu le plaisir de sentir le sable sous mes pieds. C'était agréable tout comme de se poser sur une serviette face à la mer avec un carnet dans les mains. Un nouveau décor pour une nouvelle source d'inspiration. Depuis mon arrivée, je n'avais cessé de griffonner face à ces paysages que je découvrais pour la première fois. Au moins il y avait du positif dans ce voyage; je n'étais pas venu pour rien. Mon esprit fusait à la vitesse des dessins. C'était un vrai bonheur et j'avais hâte de rentrer pour pouvoir mettre tout ce que j'avais en tête sur la toile. La peinture et ses couleurs étaient un moyen de s'exprimer plus pointilleux que du crayon noir sur une feuille blanche. Mes dessins restaient tout de même fabuleux et j'avais même fait un portait pour une jeune fille en échange de quelques gils. Ca restait exceptionnel. Je ne comptais pas finir sur l'esplanade faire des caricatures pour les touristes.

A la fin de la journée je m'étais dirigé vers le bar, où Otto m'avait donné rendez vous plus tard. J'espérais que cette fois ci il viendrait car il avait l'habitude de m'appeler pour me dire que au final il était trop occupé pour venir. Ou trop fatigué, si le sous entendu était bien présent. Ce n'était pas grave, au final je pouvais passer le temps à consommer de délicieux cocktail rafraîchissant. Même en début de soirée il faisait encore chaud, il était donc impossible pour moi de rester assis tout en perdant toute l'eau de mon corps. Je me baladais donc dans le bâtiment, observant les autres consommateurs, inscrivant leur visage dans mon esprit. Dans ma petite promenade, je tombais sur une table vide où un carnet était posé dessus. Soit quelqu'un l'avait oublié soit la personne allait revenir. Le dessin assez brouillon - à mes yeux - d'un bonhomme essayant de gravir une montagne me faisait croire que le propriétaire devait être un adolescent. Lorsque j'entendais quelqu'un près de moi, je me rendais compte que je m'étais lourdement trompé. Cet homme devait être un tout petit peu plus vieux que moi et au vue de sa tête, ce n'était pas le premier verre qu'il tenait.

- Oh, je pensais que ça appartenait à un enfant

Je n'avais pas pu m'empêcher de garder cette pensée pour moi. Quelle belle entrée en matière pour un premier contact. Je faisais encore des miracles mais je devais avouer qu'en repensant au dessin que j'avais vu, un sourire moqueur avait glissé sur mes lèvres.

- Très joli le dessin

Rajoutais je avec toujours la même offense. Car il était évident que ce qui devait être beau pour mon interlocuteur était laid pour moi. Après c'était peut être juste un moyen pour lui de s'occuper et non son métier comme moi. J'espérais tout du moins que personne ne le payait pour ces affreux gribouillis.

Tu détailles le type du regard. Encore un qui a décidé de te faire chier. Tu n’es toi-même pas un exemple de politesse, mais le genre que se donne ce gars t’agace. Sa tête ne te revient pas, c’est comme ça, il y a des gens tu les catalogues sans trop réfléchir, tu te fis à ton premier instinct. Pourtant sa remarque en d’autres circonstances aurait pu être drôle, si seulement il n’avait pas ce petit rictus insolent qui venait ruiner toutes les chances de le trouver sympathique. Tu l’observes alors qu’il louche sur ton carnet, avec l’envie de lui faire ravaler son petit sourire narquois. Tu ne sais pas vraiment ce qui te retient de l’envoyer valser. A croire que tu t’assagis, avec le temps. Tant qu’à faire, tu vas jouer le jeu. Sans le quitter des yeux, tu l’interroges. « Ça te fait bander de te foutre de la gueule de gens que tu viens aborder au hasard ? » Et il a fallu que ça tombe sur toi.

Tu te doutes bien que quelque chose l’a attiré vers ce carnet, que cet imbécile ne passe pas de table en table en souhaitant faire mouche avec une réplique cinglante. Tu espères juste, au mieux, le déstabiliser un minimum avec la tienne. Disons que sa réaction t’indiquera à quel type de bonhomme tu as à faire, alors tu ne détaches pas ton regard du sien. Tu restes après tout de nature méfiante, tu vas tâter le terrain. Si seulement ce mal de crane te fichait la paix, tu y verrais plus clair. Finalement, tu jettes un coup d’œil à ton "œuvre", l’objet du litige, ouvre un peu plus correctement la page pour observer ton gribouillage et concède sans affect en hausse les épaules. « C’est vrai que c’est naze. »

Après l'avoir regardé plus longuement en constatant combien ce truc n'avait aucun sens, tu te rassoit et relève la tête vers le type. Avait il autre chose à rajouter ? Allait il faire demi tour ou poursuivre la conversation ? Tu sembles lui poser la question en l'épiant tout en buvant une gorgée de bière.

Le propriétaire du dessin n'avait pas tardé à faire son apparition. La vie avait apparemment aussi décidé de faire de son visage de l'art. Bien mieux réussi que l'espère de gribouillis sur la feuille, les traits marqués sur la peau semblait raconter une histoire. J'étais curieux de savoir laquelle mais j'avais contenu ma question, car l'homme ne semblait pas être disponible pour une interview. Certes ma première présentation n'avait pas vraiment été très polie mais je n'allai pas non plus mentir en disant que ce dessin était magnifique et demander qui était le fabuleux artiste. J'étais honnête, trop honnête d'après mon père et l'honnêteté ne plaisait malheureusement pas à tout le monde. J'avais encore de mauvais expérience actuellement, encore plus récent avec une vieille femme hystérique. J'espérais que Costa Del Sol ne faisait pas partie de ses résidences secondaires. Déjà que ça m'embêtait d'être ici, alors si en plus je devais me coltiner la folle.

Enfin, celui en face de moi en plus d'être mauvais en dessin était agressif et vulgaire. J'ignorais si c'était un effet secondaire de l'alcool qu'il semblait avoir bien descendu au vue de l'odeur qui était arrivé jusqu'à mes narines quand il avait mal causé.

- Hum...je n'irai pas jusque là

Ce n'était pas vraiment un hasard après tout. Je n'étais pas venu derrière lui lui tapoter l'épaule et lui balancer qu'il dessinait comme un enfant. C'était pas de ma faute si c'était la pure vérité de toute façon. Parfois c'était dure à entendre mais il fallait savoir admettre ses défaites. De toute manière, il avait pas du tout la tête d'un artiste. Vu toutes ses cicatrices ils devaient surement sortir de l'armée ou quelque chose dans ce style là. La retraite c'était trop dur alors du coup il insultait les jeunes hommes qui ne pouvait pas rivaliser avec ses muscles.

- Ah...vous voyez que j'avais raison. Ce dessin est tout simplement grossier et révèle tout simplement un profond ennui ou un défoulement

Je ne cachais pas du tout le fait que j'étais fier de moi d'avoir gagné le combat. Inutile pour mon interlocuteur d'avoir ainsi naviguer sur la vulgarité. Surtout que je n'avais jamais bandé de ma vie quand j'y repensais. L'homme s'était assis sur sa table et j'en avais fait de même. J'avais pris ça comme une invitation. Lui il sirotait sa bière moi mon cocktail sans alcool. Avec une chaleur pareille il était impensable de picoler. Si c'était pour finir mal après ça ne servait à rien. Mais j'étais peut être pas encore assez accoutumé pour supporter le soleil et l'alcool en même temps.

La question était de savoir si j'allai faire fuir mon interlocuteur. Combien de temps est ce qu'il allait tenir face à une tel étrangeté que la mienne. Il ne devait surement pas croiser un spécimen aussi rare sur sa plage dorée tous les jours. Je maudissais Otto de m'avoir forcé à traverser l'océan. Ce mec m'avait donné rendez-vous ici et il était toujours pas arrivé. Je sentais qu'il allait encore me poser un lapin. Ce n'était qu'une question de temps avant d'entendre mon PHS sonner.

Le type se rétracte, il n'a pas l'air spécialement choqué, juste passablement refroidi par le choix de tes mots. Un comble. Comment pourrait-on attendre autre chose que de l'impolitesse quand on avait manqué autant de courtoisie sois même ? Tu éludes la question en trempant tes lèvres dans la bière. Définitivement, ce sera ton dernier verre.

Tu n'as rien de mieux à faire que de continuer de regarder les réactions du rigolo qui finit par s'asseoir à ta table. Vraiment ? Un rictus t'échappes alors que le roi du sans-gêne tire la chaise vers lui. Ca ne faisait que de commencer, donc... Toi qui avais vaguement espéré trouver le calme ici... Voilà que l'autre t'explique qu'il avait raison, que le dessin était grossier et... Oh, tu décroches, t'étires et te cales dans ta saloperie de chaise en plastique. "Te casse pas la tête, je n'essayais rien du tout en fin de compte. Qu'est-ce que..." Tu secoues vaguement la tête et abandonnes. Tu n'as rien à dire à ce type qui essaye de te décrypter et qui, et c'est un comble, semble satisfait de son compte-rendu. "Très bien le psychologue du dimanche, je ne sais pas si tu cherches de la compagnie ou quoi... Je vais pas chercher à t'analyser à partir de rien, mais..." Tu hausses des épaules et feuillette de loin ton carnet. Toutes les pages sont presque blanches, de façon anarchique quelques notes sans importances ci et là - des calculs, quelques rappels de rendez-vous - et des gribouillis plutôt sombres comme celui que tu as esquissé plus tôt. Rien qui ne puisse donner un quelconque indice sur qui tu es. Terriblement impersonnel. L'alcool te monte très doucement à la tête, en parallèle d'une colère sourde dirigé vers une personne. Pas celle qui se trouve en face de toi, mais qui a plutôt intérêt à se tenir à carreau s'il ne veut pas être celui qui allait payer... Sans plus réfléchir tu fais glisser carnet et stylo vers l'homme au cocktail. "Si le coeur t'en dit." L'invites tu avec cette sorte d'insolence caractéristique que tu n'as jamais tenté de soigner. Fut un temps ou tu faisais quelques efforts si tu avais quelque chose à en tirer. Mais depuis... Depuis ce jour, tu as abandonné l'idée et te moque épérduement de passer pour autre chose que ce que tu es.

Mes paroles l'ennuyait, je l'avais bien noté. Je soupirai intérieurement, déçu de ne pas avoir encore trouvé quelqu'un avec qui parler normalement. A croire que dans ce monde il n'y avait que les filles et l'alcool qui intéressaient les hommes. Je n'avais pourtant dit aucun mot compliqué mais apparemment, si, pour mon interlocuteur. Peu importe, je ne comptais pas lui faire la causette toute la nuit, simplement en attendant que Otto daigne bouger son modeste fessier jusqu'ici. Il était chiant à être toujours en retard ou à décommander à la dernière minute.

- Qu'est ce que quoi ?

L'abîmé ne finissait même pas ses phrases alors comment voulez vous que je fasse comme si j'étais "normal". Tant mieux pour lui si il n'avait rien voulu essayé avec ce dessin, c'était couru d'avance qu'il n'allait ressembler à rien. Mon interlocuteur faisait juste parti des personnes qui gribouillaient pour passer le temps. Ça m'arrivait aussi de le faire, mais à la fin c'était un vrai dessin qui était marqué sur la page et non...ce gribouillis immonde. Mon âme de peintre était tout retourné.

- Ah non, je m'ennuie c'est tout

Les mots étaient sortis, trop tard pour que je puisse les rattraper avant qu'ils ne s'envolent. Trop direct, j'aurai dû réfléchir et suivre la direction de l'homme en face de moi en hochant la tête. Etant d'accord avec le fait que je cherchais de la compagnie même si c'était faux. J'avais l'habitude d'être seul, c'était bizarre d'avoir une requête pareille pour moi.

Le carnet et le stylo étaient glissés vers moi, m'invitant à dessiner. Je baissais les yeux vers les objets avant de les relever vers son propriétaire. Je ne comprenais pas ses actes, et mettait cette bizarrerie sur le compte de l'alcool. Je secouais la tête avant de souffler plus pour moi-même que pour le concerné, même si il devait avoir entendu.

- Tu es trop bizarre

C'était un peu l'hôpital qui se foutait de la charité en disant ça mais les points de vue pouvaient être différents. Si ça pouvait lui faire plaisir d'avoir un dessin potable dans son carnet, je n'allai pas cracher dessus. C'était plus intéressant que de discuter de la météo. J'attrapais donc le stylo et le cahier avant de trouver une page blanche. Son propriétaire semblait totalement ravagé, il faudrait un dessin qui lui donnerait du baume au cœur - si il était sensible à l'art bien évidemment. Peu importe. J'étais inspiré et rapidement, la page blanche se retrouvait recouverte de traits, d'un paysage de sable chaud face à la mer chaude. Un soleil, étoile brûlante venue du ciel baignant une silhouette humaine allongée sur le sable. Une fois terminé, je contemplais mon oeuvre. Satisfait, je poussais le carnet vers l'homme avec son stylo posé dessus.

- Tiens, j'espère que ça te réchauffera le coeur  

Déclarais je avant de boire une gorgée de mon cocktail, appréciant sa fraîcheur face à la température trop chaude pour moi.

Qu’est-ce que quoi ? Tu ne prends pas la peine de répondre, estimant que tu as déjà assez perdu de temps sur la question et évitant ainsi une nouvelle incartade. Pourquoi est ce que ce foutu coup de stylo aurait une quelconque importance aux yeux de ton interlocuteur ? Qu’est-ce qu’il cherchait à la fin ? L’ennui, se justifie l’autre. Un rictus amer t’échappe encore alors que tu reposes ton verre de bière. Faut-il que tu sois un aiment à cas social… Ta dégaine doit dissuader quiconque un tant sois peu raisonnable de t’adresser la parole. Au Honey Bee déjà tu as l’habitude d’attirer l’attention des clients fracassés qui reconnaissent en toi une sorte de compère d’infortune. Allez savoir ce qui était passé dans la tête de cet original quand il était venu s’asseoir en face de toi.

Tu croises les bras et regarde le type s’emparer de ton carnet. Tu ne réagis pas quand le farfelu te taxe de bizarre, engourdi par la chaleur et t’étant fait à l’idée que tu te coltinais un nouvel inadapté social. Tu n’as pas encore décidé s’il t’amusait ou t’agaçait, pour l’heure, tu le trouves prétentieux mais inoffensif. En d’autres occasions, tu l’aurais sans doute déjà envoyé balader, mais aujourd’hui tu es d’humeur étrangement indulgente, alors tu l’observes couvrir une page blanche qu’il a au préalablement soigneusement sélectionné tout en continuant de boire. Son habilité t’informe rapidement que tu dois avoir à faire avec un artiste, en d’autres termes, un monde vous sépare lui et toi. Tu n’as jamais été un grand féru de peinture, tu peux admirer la beauté de quelques toiles de grands-maîtres, mais reste passablement insensible devant cet art. Il faut malgré tout reconnaître que l’hurluberlu a un beau coup de crayon, et quand il te remet le carnet, tu peux convenir qu’il est doué. « J'en demandais pas tant. » Glisse tu en réponses à sa remarque. Lui filer une feuille blanche et un stylo t'avais fais gagner cinq minutes de silence, maintenant, il fallait bien relancer la conversation. Tu fais craquer l'articulation de ton épaule engourdie avant de reprendre. « Et qu’est ce que tu fais là ? Pas mieux à faire ailleurs ? » N’avait-il pas une autre personne avec qui s’ennuyer, au fait ? « T’es un de ces types qui font des dessins sur le long de la plage ? » Supposes-tu à voix haute, un brin sarcastique. Tu serais étonné qu'il te réponde de manière postive, ce type avait tout l'air d'être aussi peu habitué à ce lieu que toi, mais enfin, le doutes restait permis...

Je ne pouvais pas refuser la demande muette de mon interlocuteur. L'art c'était à peu près toute ma vie et j'avais donc la chance de pouvoir vivre de ma passion. Ce qui n'était pas le cas de tout le monde j'en étais bien conscient. J'aurai pu faire autre chose, des études plus poussées mais j'avais terminé l'école le plus tôt possible pour ne plus avoir à supporter mes autres camarades. Cet univers n'était tout simplement pas fait pour moi. Puis j'avais rencontré Otto qui avait su reconnaître mon talent et grâce à lui je réussissais à m'en sortir. Je n'étais pas non plus l'homme le plus riche de Edge, mais la part des ventes de mes oeuvres suffisait à subvenir à mes besoins primaires. C'était le principal pour moi de ne pas mourir de faim et d'avoir un toit au-dessus de ma tête.

J'avais haussé les épaules face à la remarque de l'autre concernant mon dessin. J'ignorais le sous-entendu de cette phrase mais dessiner des bonhommes en bâtons c'était hors de ma portée. Puis ce n'était rien, ça ne me dérangeait pas du tout de faire quelque chose de beau.

- J'attends quelqu'un

Si je l'embêtais il avait qu'à me le dire directement plutôt que de tourner autour du pot. Il était aussi aimable que moi ce jeune homme. Avec ce comportement il risquait de s'en prendre une et d'abîmer encore plus son visage. Le poing ne viendrait pas de ma part bien entendu, je n’étais pas dans la violence malgré le fait que j'avais appris à frapper.

- Et toi qu'est-ce que tu fais là ? Tu as l'air...épuisé psychologiquement

Pas que ces histoires m'intéressait mais je ne pouvais pas m'empêcher d'analyser ce qui m'entourait. Comme une oeuvre vivante qui cachait pleins de choses. Ces cicatrices en faisaient partie et je me demandais comment il les avait eus. Mais cela était une question qui apparaissait sur la longue liste de celles qui ne fallait pas posés. Le passé était un sujet tabou.
Un rire m'avait échappé à la dernière question. Est-ce que j'avais l'air vraiment de faire partie du paysage avec ma peau blanche et parfois rougis par le soleil ? La mise en boîte était facile mais non, je n'étais pas l'une de ces personnes.

- Je viens de Edge. Je peins plutôt la nature d'ordinaire

Je répondais tout en contemplant mon verre qui était vide, et toujours aucun signe de Otto. Ce mec allait me rendre chèvre avant la fin du séjour. Mais je ne pouvais pas laisser mon corps se dessécher.

- Je vais chercher à boire, tu veux quelque chose ?

Il fallait boire avec modération apparemment, mais mon vis à vis avait surement dépassé ce stade avant mon arrivée même si il était encore lucide.

Alors comme ça, il attend quelqu'un ? Tu te demandes vite fait à quoi peut ressembler ce quelqu'un et t'interroge sur le motif de son absence. Ton interlocuteur n'a pas l'air inquiet, quoi qu'un peu impatient. Lorsqu'il te livre l'information, tu sens comme une légère tension. Ou peut-être l'a tu imaginer... À vrai dire le bonhomme en face n'est pas du genre facile à suivre, tu dois bien te débrouiller avec ce qu'il consent te donner. Mais voilà qu'il joue au curieux, qu'il t’interroge à son tour. Tu te marres un peu quand il dit que tu as l'air épuisé psychologiquement, parce que bon, qui balancerais ça à un inconnu avec autant de flegmatismes que ce peintre ? Tu n’es pas au bout de tes surprises avec ce rigolo. « Écoutes je sais pas trop à quoi ressemble la vie d'artiste, je vous ai toujours imaginer un peu déconnecté du monde... Et de toute évidence, tu me le confirmes... » Mmh, où vas-tu comme ça déjà ? Tiens, ton verre est vide. Tant mieux. Épuisé psychologiquement… Quelle blague… « Je suis là pour le boulot. Pour le reste, on n’a pas gardé les chocobos ensemble. On va s'en tenir à ça. » Tu conclus, sans d'animosité, juste une certaine autorité histoire que cela soit clair. Le pire c’est que l’autre à l’air de s’en moquer éperdument, il a l’air d’avoir posé ça là parce que ça lui ait passé par la tête, une remarque qui n’attendait même pas tant de réponse. Les artistes…

Coïncidence incroyable, ton PHS sonne au même instant. Tu jettes un bref coup d'œil à l'écran. C'est Loveless. « Alors Chaton, on ne s'ennuie pas trop ? » Tu ranges l'engin dans ta poche sans lui répondre, mais dès lors tu n'arrives plus à te concentrer sur autre chose et ton pied s’agite avec agacement. C'est comme si l'objet te brûlait la cuisse, réclamait que tu lui prêtes attention. Alors que tu croises les bras, le peintre t'informe qu'il vient d’Edge. Tu mimes l'intérêt, hoches de la tête, lui réponds même : « Je vois qu'on vient du même endroit. » Pas sûr que vous soyez du même quartier, par contre... Tu imagines mal ce type dans les bas-fonds chaud de la ville. L’autre te propose un autre verre, tu fais un bref mouvement de tête à son intention. « Non merci l’artiste, c’est sympa, mais je reprends du service dans pas longtemps. »

Et là, tu n’y tiens plus. Tu prends ton téléphone, serre la mâchoire et répond simplement « Contente toi de me faire signe quand je dois rappliquer. » T’étais agacé qu’elle t’ai congédié avec ses manières de diva, plus tôt, pas question de faire la causette. Merde. Tu regrettais déjà ta réponse. Abruti. Un type à l’autre table à le malheur de te regarder de travers. Tu le défies du regard, impassible. « Ouai ? » Tu te contentes de lui lancer, prêt à en découdre. Peut-être même que tu cherches un peu pour rien… Que tu as besoin de passer tes nerfs sur quelque chose… Mais si l'autre baisse les yeux, tu n'auras aucune raison de monter au front.

C'était à mon tour de me marrer en écoutant le discours de mon interlocuteur sur les artistes. Certes, je n’étais pas le plus investis dans le monde social mais étais je déconnecté de ce qui m'entourais ? Ce n'était pas vraiment que je penserai vu que j'étais un peintre, et que par conséquent je devais analyser l'environnement que cela soit un endroit, les personnes, l'atmosphère. Tout était bon à prendre pour appeler l'inspiration. Surement les artistes d'ici avaient un mode de vie différent du mien. J'étais très loin d'aller à des soirées VIP ou autres appellations non intéressantes contrairement à ce que pourrait penser l'autre. J'étais direct, je n'allai pas le nier et ne me cachait pas sous un tissu de mensonge pour faire plaisir à autrui. Donc, j'attendais bien quelqu'un, et la personne en face de moi n’avait pas besoin de savoir qui. Son cerveau était assez développé pour s'imaginer des choses.

- Libre à toi de l'imaginer

De toute façon, peu importe ce qu'il croyait, je savais qui j'étais et c'était le principal. Lui, par contre, il avait l'air complètement paumé. Je n’étais pas psychologique - dieu merci - mais il fallait bien s'occuper en attendant que Otto arrive. Évidemment, mon interlocuteur m'avait envoyé balader sans aucuns scrupules. Est ce que j'étais choqué ? Pas le moins du monde. Au contraire, un léger sourire avait fleuri au coin de mes lèvres.

- J'aurai bien aimé garder des chocobos...

Cela pouvait sembler être de la provocation mais c'était aussi une sorte de confidence. Hélas, la ferme était assez loin de Kalm et mon père adoptif ne m'aurait jamais laissé faire ça. Il avait économisé pas mal de gils pour que j'aille à l'école alors si c'était pour à la fin finir éleveur de chocobo, il se serait rasé la barbe.

- Ah ?

Il venait aussi de Edge ? J'étais un peu surpris car sa tête ne me disait rien. Pas que je connaissais tout le monde là bas mais il avait l'air d'avoir environ le même âge que moi. Peut être que je me trompais, avec ce visage marqué par la vie il était compliqué de mettre une année. Peu importe, ce n'était pas ça qui allait remplir mon verre alors que j'étais en train de dessécher. L'autre ne voulait rien, tant mieux ça allait me faire des économies.

- C'est Enoch

Je lui balançais mon nom car je ne me prénommais pas l'Artiste. C'était ridicule d'ailleurs comme pseudo. Je retournais donc au bar commander un Bora Bora tranquillement. J'étais loin de me douter que derrière, ma compagnie temporaire était en train de se mettre à dos un autre consommateur. Ce n'était qu'en me retournant avec mon verre à la main que je constatais le regard noir que se lançaient les deux hommes remplis de testostérones.

- Ah les mecs...

J'avais levé les yeux au ciel, accoudé au bar tout en regardant la scène de loin qui allait se jouer. Je n'avais pas envie de faire partie des dommages collatéraux.

- T'a un problème l'handicapé ?

Même si je n’étais pas dans la pièce de théâtre, j'avais une bonne audition et la question m'avait presque fait étouffer avec mon cocktail. Je ne voyais pas où ma nouvelle connaissance était handicapé. Abîmé, je voulais bien et encore, il y avait bien pire au détour des tréfonds de Edge. En tout les cas, ça n'allait pas tarder à mal finir, car à mon avis le visé n'allait pas rester de marbre. Tout le monde n'était pas aussi lisse que moi face aux insultes. Devrais-je donner des cours ?

C’est vrai que tu as tendance à estimer ceux qui vont à contrecourant, les personnes qui, envers et contre tous, soutiennent une opinion impopulaire avec conviction. Parce que ce genre de personnalité te plait, que l’anticonformisme à tes faveurs et que le conflit t’attire. Pour autant, tu as un problème avec les artistes. Pas que tu en aies croisé beaucoup au court de ton existence, mais quelque chose t’agace chez ceux que tu as pu côtoyer… Tu as mis le doigt sur un trait que la plupart d’entre eux partagent : l’hypocrisie. A trop vouloir se démarquer, à assumer leur prétendue personnalité différente, ils forment une sorte de consensus, ils font l’unanimité. Quoi de moins original ?

Tu n’as pas encore classé le rigolo qui te fait face. Tu as d’habitude des avis très tranché sur les choses, mais l’alcool et la chaleur ne t’aide pas à avoir une opinion arrêté sur ton interlocuteur qui, pour le moment, t’amuse passablement. C’est bien pour ça que tu restes assis là, non ? Alors qu’il rebondit sur ta remarque et qu’il assure qu’il aurait bien gardé des chocobos, tu lèves ton verre bientôt vide comme si vous célébriez quelque chose et le termine. Tu ne sais trop comment interpréter sa surprise lorsque tu l’informes que vous venez tous les deux d’Edge. Pourquoi est ce que ce serait si étonnant ? Tu hausses les épaules en guises de réponses, fronçant légèrement les sourcils, en reposant ta chope. Pour toi, tu as bien la gueule d’un type qui viens de là-bas. Des gueules cassés tu en croises à chaque coin de rue. Peut être que tu le remarques plus maintenant que la tienne est elle-même dans un piteux état.

« Enoch… » Répète tu en faisant claquer la dernière syllabe alors que l’autre se lève. Tu affiches un petit sourire et te cales dans ton siège en agitant les dernières goutes d’alcool au fond de ton verre. « Mat. » Te présentes tu simplement alors que l’artiste s’éloigne. C’est à ce moment là que ton regard croise celui d’un voisin un peu trop curieux.

Le type te toise, semble jouer le jeu quand tu le dévisages. Tu n’attends qu’une excuse pour lui sauter à la gorge, tu as besoin de te défouler et tu n’apprécies par l’attitude de ce petit merdeux. Alors quand il a l’audace de te taxer d’handicapé… Tu te lèves calmement, ta saleté de jambe pourtant, comme affaiblie par la remarque puérile de ton adversaire, se raidit instantanément. Tu la maudis en t’avançant vers la table avec une démarche rigide. Comme un écho, ton opposant se lèves et avance le menton avec insolence. A ce stade, tu abordes toujours un petit sourire qui n’a pas l’air d’impressionner l’autre, résolument prêt à en découdre avec toi. C’est alors que sans prévenir, tu pivotes, frappes dans la clavicule, va chercher sa main, retournes son bras et plaque son visage contre la table qu’il occupait en le maintenant fermement. Au moindre mouvement, tu brises ses os, il l’a compris, se débat vainement pendant quelques secondes avant d’abandonner en fulminant. Autour de toi on s’agite, des cris de peur et de protestation couvre la musique du bar. Il n’y a plus de trace de sourire sur ton visage. « Lâche le ! Dégage ! » S’emporte le gérant qui a sauté par-dessus son comptoir mais qui a eu la sagesse de se tenir à quelques mètres du conflit. Il n’a pas le temps de proférer plus de menaces que tu lâches ta victime non sans avoir laissé planer le doute sur le sort que tu allais réserver à son bras. Tu t’es assez délecté de sa soumission, quand il se retourne vers toi, tu soutiens quelques instant son regard avant de faire demi-tour. Tu n’as plus rien à faire ici. A quelques mètres de là se tient Enoch, un verre de jus de fruit à la main, il n’a pas bougé. Tu pointes ton majeur et ton index sur ta tempe avant de les lever en l’air pour le saluer. « Salut l’artiste. » Lances tu comme un adieu. T’as besoin d’air, de solitude, tu pars là-dessus. Qui sait, tu allais peut-être le recroiser prochainement…